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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/22

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— Il votait toujours avec moi au parlement ; c’était un parfait honnête homme, un homme qui avait beaucoup de l’air de Peter Johnson, mon intendant ; mais on dit que son fils aime les revenant-bons du ministère. — Ma foi, quant à moi, il n’y a jamais eu qu’un ministre à mon goût, c’était William Pitt. Pour l’Écossais dont ils firent un marquis, je n’ai jamais pu le souffrir ; je votais toujours contre lui.

— À tort ou à raison, mon oncle ? demanda John avec un sourire malicieux.

— Non, Monsieur, à raison, mais jamais à tort. Lord Gosford votait aussi toujours contre lui ; et croyez-vous, jeune drôle, que le comte de Gosford et moi nous puissions jamais avoir tort ? Non, Monsieur, de mon temps les hommes étaient tout autres qu’aujourd’hui ; nous n’avions jamais tort, Monsieur ; nous aimions notre pays, et nous ne pouvions nous tromper.

— Mais lord Bute, mon oncle ?

— Lord Bute, Monsieur, s’écria le vieillard avec une grande chaleur, lord Bute était ministre, Monsieur… ; il était ministre ; oui, Monsieur, ministre ; et il était payé pour ce qu’il faisait.

— Mais lord Ghatam n’était-il pas ministre aussi ?

Or rien ne piquait le vieillard comme d’entendre appeler William Pitt par son titre de lord. Ne voulant pas néanmoins paraître se relâcher de ce qu’il regardait comme ses opinions politiques, il s’écria d’un ton péremptoire : — Oui, Monsieur, William Pitt était ministre ; mais… mais, Monsieur…, mais c’était notre ministre, Monsieur.

Émilie, contrariée de voir son oncle s’agiter à un tel point pour une discussion aussi futile, jeta un regard de reproche sur son frère, et dit avec timidité :

— Son administration fut, je crois, bien glorieuse, mon oncle ?

— Glorieuse ! mon Emmy, ah ! sans doute, dit le vieillard adouci par le son de sa voix et par le souvenir de ses jeunes années : nous battîmes les Français partout,… en Amérique, en Allemagne ; nous prîmes (et il comptait sur ses doigts), nous prîmes Québec ; oui, lord Gosford y perdit un cousin, et nous prîmes tout le Canada, et nous brûlâmes leurs flottes. Dans la bataille entre Hawe et Conflans, il périt un jeune homme qui était fort attaché à lady Juliana ; la pauvre enfant ! comme elle le regretta après sa mort, elle qui ne pouvait le souffrir pendant sa