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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/229

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pendant plus d’une heure l’équipage dont les panneaux portaient la main sanglante resta arrêté dans l’une des rues les plus fréquentées de la Cité. Aussi quelle fut sa surprise lorsque, de retour chez lui, il voulut examiner le compte que lui avait remis son banquier, de lire en tête : Compte courant de sir Timothée Jarvis baronnet, avec John Smith.

Sir Timothée tourna le papier dans tous les sens, et il le relut autant de fois que M. Benfield avait relu le paragraphe relatif au mariage de Denbigh, avant de pouvoir en croire ses yeux. Lorsque enfin il fut bien assuré du fait, il saisit son chapeau, et sortit pour aller trouver l’homme qui avait osé l’insulter, et se permettre de pareilles plaisanteries au milieu d’affaires aussi sérieuses. À peine avait-il fait quelques pas, qu’il rencontra un de ses amis qui l’appela par son nouveau titre. Une explication s’ensuivit, et le baronnet sans le savoir se rendit droit à la remise.

Pour le coup la vérité lui fut dévoilée. Il fit appeler sa femme ; et, pour toute punition, la brosse du peintre effaça sous ses yeux le malheureux emblème des panneaux de la voiture.

Tout cela fut fort facile, mais ses amis de la Bourse et de la Cité n’en continuèrent pas moins à l’appeler sir Timothée, et, soit oubli, soit malice, ce nom lui resta.

M. Jarvis n’avait aucune ambition, mais il voulut se venger, et il résolut de mettre les rieurs de son côté.

Un bourg récemment acheté ayant fait une adresse où respirait le dévouement au roi, il se chargea de la présenter lui-même. Le bon marchand se mettait rarement à genoux, même devant son Créateur ; mais dans cette occasion il fléchit respectueusement le genou devant son souverain, et il sortit du palais avec le droit de porter à jamais le titre que ses vieilles connaissances de la Bourse persistaient à lui donner par dérision.

Il est plus facile de se figurer que de décrire les transports de joie que lady Jarvis fit éclater. Il n’y avait que le prénom qui la tourmentât un peu ; mais, par une licence bien permise, elle le raccourcit de manière à en faire le nom plus doux et plus harmonieux de sir Timo. Deux domestiques furent renvoyés, dès le second jour, parce que, peu habitués aux nouveaux titres, ils l’avaient appelée mistress. Quant à son fils le capitaine, qui était alors en voyage, on s’empressa de lui écrire pour lui apprendre cette grande nouvelle.