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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/27

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— Qui est-ce donc qui nous arrive ici ? s’écria le capitaine Jarvis en regardant par une fenêtre qui donnait sur la cour d’entrée ; l’apothicaire et son garçon qui descend de voiture ?

Un domestique vint annoncer que deux étrangers demandaient à parler à son maître. Malgré le titre burlesque dont le capitaine les avait gratifiés, le baronnet, qui aimait à voir tout le monde aussi heureux que lui-même, dit à son hôte : — Faites-les monter, docteur, faites-les monter ; il faut qu’ils goûtent de cette excellente pâtisserie, et nous jugerons s’ils sont connaisseurs.

Le reste de la compagnie joignit ses instances à celles du baronnet, et le docteur Yves donna ordre de faire monter les deux étrangers.

La porte s’ouvrit, et l’on vit entrer un vieillard qui paraissait avoir soixante ans environ, et qui s’appuyait sur le bras d’un jeune homme de vingt-cinq. Il y avait entre eux assez de ressemblance pour qu’au premier coup d’œil l’observateur le plus indifférent pût prononcer que c’étaient le père et le fils ; mais l’air souffrant du premier, son extrême maigreur, sa démarche chancelante contrastaient avec l’air de santé et de vigueur du jeune homme, qui soutenait son respectable père avec une attention si touchante, que la plupart des convives ne purent le voir sans intérêt. Le docteur et son épouse se levèrent spontanément de leurs sièges et restèrent un instant immobiles, comme s’ils éprouvaient un sentiment de surprise à laquelle se mêlait une profonde douleur. Le docteur se remit bientôt, et prenant la main que lui présentait le vieillard, il la serra dans les siennes, et parut vouloir parler ; mais ses efforts furent inutiles. Ses larmes se pressaient sur ses paupières, tandis qu’il considérait ce front sillonné par de longues souffrances, ce teint pâle et livide ; et sa femme, ne pouvant plus longtemps maîtriser son émotion, se jeta sur une chaise, et donna un libre cours à ses sanglots.

Le docteur ouvrit la porte d’une pièce voisine, et tenant toujours le vieillard par la main, il parut l’inviter à le suivre. Sa femme, après le premier élan de sa douleur, reprit toute son énergie, et, surveillant avec une tendre sollicitude les pas tremblants de l’étranger, elle l’accompagna avec son fils. Arrivés à la porte, les deux inconnus se retournèrent, et ils saluèrent la société d’une manière si noble et en même temps si gracieuse, que tous les convives, sans en excepter M. Benfield, se levèrent involontairement pour leur rendre leur salut.