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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/272

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contemplation. Une vérité qui vous paraîtra sûrement difficile à croire, c’est que ce siècle dégénéré ait pu produire une femme, jeune, libre, et d’une fortune médiocre, qui a refusé un douaire de six mille livres sterling, avec le titre de duchesse. »

Ici le lecteur fut interrompu par le bruit que fit en tombant la tasse que celle qui l’écoutait laissa échapper ; elle s’excusa en rougissant de sa maladresse, et Pendennyss continua :

« Cependant, je vous avoue que mon amour-propre a été cruellement blessé. Je dois admirer son désintéressement ; ses parents désiraient que je réussisse. Je croyais lui être agréable ; elle paraissait n’écouter avec plus de plaisir que tous les autres hommes qui l’entouraient, et lorsque j’osai lui dire, pour justifier ma présomption, que son indulgence m’avait seule encouragé à lui adresser mes vœux, elle convint franchement de la distinction flatteuse dont elle m’honorait ; sans m’expliquer les motifs de sa conduite, elle m’exprima ses regrets de voir que j’eusse pris le change, et que j’éprouvasse des sentiments auxquels elle ne pouvait répondre que par l’estime. Oui, milord, le duc de Derwent a cru nécessaire de chercher une excuse pour avoir osé offrir sa fortune et sa main à Émilie Moseley. Le rang et les richesses perdent toute l’importance dont ils jouissent aux yeux du monde lorsqu’on veut les faire entrer en comparaison avec tant d’amabilité, de grâce, de délicatesse et de vertu.

« J’ai appris dernièrement que George Denbigh lui a sauvé la vie, je ne sais de quelle manière, et j’ai été frappé de l’idée que je devais à sa reconnaissance et à ma ressemblance avec le colonel la préférence que me témoignait miss Moseley. Quoique cette illusion m’ait porté à me bercer de fausses espérances, je ne puis la regretter : elle m’a procuré de si doux moments ! J’ai remarqué que le nom de Denbigh lui causait une émotion que tous ses efforts ne pouvaient réussir à cacher. Cependant George est marié ; je suis refusé, et Votre Seigneurie a maintenant le champ libre. Vous entrerez dans la carrière avec un grand avantage ; comme moi, vous ressemblez à votre cousin, et ni lui ni moi, votre humble serviteur, nous n’avons la prétention de posséder au même degré ce son de voix si séduisant qui vous a fait faire, sans le vouloir, la conquête de bien des cœurs. »

Le comte s’arrêta ; il paraissait absorbé dans ses méditations ; enfin, sa sœur, impatiente d’entendre la fin de la lettre de Der-