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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/319

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tel point, qu’il résolut de se retirer du monde dès qu’il serait plus grand et d’abandonner son droit d’aînesse à celui que son père avait jugé plus digne que lui de le posséder.

Dès ce moment, Francis conçut l’idée qui le poursuivit sans cesse depuis, que son existence n’était qu’une injustice prolongée envers un frère, et un frère qu’il chérissait tendrement. S’il eût trouvé dans le cœur de ses parents la tendresse qu’il avait droit d’en attendre, et dans ses jeunes compagnons le retour qu’appelait son âme aimante, ses idées sombres et importunes, fruit d’une imagination malade, se seraient dissipés d’elles-mêmes ; mais ses parents l’oubliaient pour ne penser qu’à son frère, et sa tristesse habituelle repoussait ses compagnons de jeux, et engageait à le quitter pour son frère dont la gaieté inaltérable était plus d’accord avec l’insouciance de l’enfance.

Si Francis, dans l’âge des passions, eût rencontré un ami, un guide sûr, qui eût soudé les blessures de son cœur, et l’eût rappelé à ce qu’il devait à son pays et à sa naissance, il serait devenu un membre utile de la société, et aurait peut-être illustré son nom et sa patrie ; mais il resta seul, livré aux sombres méditations d’un cœur ulcéré. Dans la position où il se trouvait, ses guides naturels étaient les plus grands ennemis de son repos ; et les jeunes gens quittèrent le collège pour l’université, l’un devenant de jour en jour plus séduisant, l’autre de jour en jour plus concentré en lui-même et plus malheureux.

Il n’est peut-être rien de plus funeste que la prédilection qu’un père a pour l’un de ses enfants au détriment des autres ; il a beau chercher à la cacher à tous les yeux, ce sentiment perce malgré lui, et se manifeste jusque dans ses moindres actions. L’enfant qui se voit négligé s’en est bientôt aperçu : l’amour est si clairvoyant ! Il se méfie alors des caresses de son père, il sent qu’il n’a plus la même place dans son cœur ; et c’est au milieu des angoisses qu’il éprouve que doit se former son caractère, ce caractère qui aura tant d’influence sur toute sa vie, et qui le suivra jusqu’au tombeau.

Avec la disposition d’esprit de Francis Denbigh, les conséquences étaient doublement funestes. Doué d’une extrême sensibilité, il eût fallu lui témoigner de la douceur, de l’affection ; il ne trouvait partout que froideur et qu’indifférence. George seul faisait exception ; il aimait son frère, mais encore, plein d’en-