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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/323

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— D’ailleurs, cher frère, vous oubliez que maintenant nos intérêts sont communs, et qu’en définitive c’est moi qui gagnerai à cet arrangement. Les vives instances de son frère et la nécessité forcèrent George à céder, et il quitta Francis pénétré de reconnaissance.

Plusieurs semaines se passèrent sans qu’ils fissent la moindre allusion à ce sujet désagréable, qui eut au moins le résultat heureux de rendre George un peu plus prudent, et de le ramener à des études que le goût des plaisirs lui faisait négliger.

Les deux frères reprirent avec plus d’ardeur que jamais leurs occupations ordinaires, et George acquit avec la plus heureuse facilité ces talents superficiels auxquels on attache tant de prix dans le monde. Il devenait de jour en jour plus aimable et plus séduisant. Le pauvre Francis faisait tous ses efforts pour l’imiter ; mais il semblait au contraire s’éloigner toujours davantage du but qu’il voulait atteindre.

Le général Denbigh avait conservé une apparence d’impartialité dans l’éducation de ses fils ; il les avait mis au même collège, il leur faisait la même pension : était-ce sa faute s’ils ne faisaient pas les mêmes progrès ?

Le duc, sortant quelquefois de sa léthargie, faisait au père de vives remontrances. Il ne concevait pas que son futur héritier se laissât ainsi surpasser par son jeune frère, et il accusait ses parents de ne pas donner le moindre soin à son éducation. Le général lui exposait alors superficiellement le système qu’il s’était tracé : ses deux fils lui coûtaient le même argent, et si Francis ne profitait pas des leçons qui leur étaient données à tous deux, il ne fallait en accuser que son peu d’intelligence et son esprit borné.

Non, ce n’était pas son intelligence, c’était l’aveugle partialité de ses parents qu’il fallait en accuser : autrement cette âme noble et généreuse se serait développée ; elle était susceptible des plus heureuses inspirations ; mais la froideur, l’indifférence de tout ce qui l’entourait l’avait comme glacée, et elle faisait de vains efforts pour sortir de la sphère étroite dans laquelle elle se trouvait circonscrite. Oh ! si Francis eût obtenu les mêmes encouragements que son frère, s’il eût été aimé comme lui, quel essor il aurait pris en un instant ! comme ses facultés engourdies se seraient réveillées tout à coup ! Il ne fallait qu’une étincelle pour allumer le feu divin qui couvait secrètement dans son cœur ; mais, hélas ! tout semblait au contraire conspirer pour l’étouffer.