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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/14

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l’invitât à quitter son poste. Sa jaquette de soie parsemée de fleurs, qui mêlaient sur ce riche tissu les couleurs les plus éclatantes, son collet écarlate tombant, le velours brillant de son bonnet, tout le faisait reconnaître pour un gondolier au service d’un particulier[1].

Cependant, fatigué des tours d’un groupe éloigné de sauteurs qui, par leurs pyramides de corps humains, avaient pendant quelque temps attiré son attention, cet individu détourna les yeux et jeta ses regards sur les ondes. Un sentiment de plaisir se montra tout à coup sur son visage, et le moment d’après il pressa dans ses bras un marin au teint hâlé, qui portait les habits larges et le bonnet phrygien des gens de sa profession. Le gondolier parla le premier ; ses paroles avaient le doux accent de ses îles natales.

— Est-ce toi, Stefano ? On disait que tu étais tombé dans les griffes des diables de Barbarie, et que tu plantais de tes mains, que tu arrosais de tes larmes, des fleurs pour un infidèle !

La réponse fut faite dans le dialecte plus dur de la Calabre et avec la rude familiarité d’un marin.

La bella Sorrentina n’est point la ménagère d’un curé ! elle n’est point faite non plus pour faire la sieste avec un corsaire tunisien qui croise dans son voisinage. Si tu avais jamais été au-delà du Lido, tu saurais quelle est la différence entre donner la chasse à une felouque et l’atteindre.

— Agenouille-toi alors, et remercie saint Théodore de sa protection On a dû beaucoup prier sur ton vaisseau dans ce moment, caro Stefano, quoique personne ne soit plus hardi que toi parmi les montagnes de la Calabre, lorsque ta felouque est en sûreté sur le rivage[2].

Le marin jeta un regard moitié sérieux, moitié plaisant, sur l’image du saint patron, et répondit :

— Nous avions un plus grand besoin des ailes de ton lion que des faveurs de ton saint ; je n’ai jamais demandé de secours qu’à saint Janvier, même pendant un ouragan.

  1. Les gondoliers publics portaient autrefois un costume, comme c’était l’usage il y a un siècle en Europe parmi tous les ouvriers. Cet usage a été abandonné, mais les gondoliers particuliers, étant serviteurs, portent une espèce de livrée.
  2. L’habitude d’amarrer les plus petits vaisseaux est universelle sur les côtes de la Méditerranée. La côte est en général remplie de rochers, mais il y a de temps en temps de petites dentelures qui ont des bords sablonneux, elles sont garnies de petites barques de toute espèce, et qui offrent le coup-d’œil le plus pittoresque.