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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/303

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Ces paroles furent prononcées avec cette indifférence que donne l’habitude, car l’usage de laisser les corps sans les enterrer paraissait au guide une chose toute simple : cela n’en frappa pas moins ceux qui arrivaient du couvent.

— Tu es le dernier qui est descendu, dit un des serviteurs ; et personne n’est monté que ceux qui sont maintenant à prendre du repos dans le couvent, après la tempête de cette nuit.

— Comment peux-tu faire ces mauvaises plaisanteries, Henri, lorsqu’il y a un nouveau cadavre dans le charnier ? Cette jeune dame vient de les compter dans l’instant. Il y en a quatre ; et il n’y en avait que trois que je montrai au noble Piémontais que j’ai conduit d’Aoste le jour dont vous parlez.

— Voyons, dit le quêteur en quittant vivement Adelheid qu’il allait aider à monter sur sa mule.

Ils entrèrent dans cette sombre caverne, d’où ils revinrent promptement portant un cadavre qu’ils placèrent à l’air, le dos appuyé contre le mur du bâtiment. Un manteau était jeté sur le visage et la tête, comme s’il avait été placé ainsi pour le garantir du froid.

— Il a péri la nuit dernière après avoir pris l’ossuaire pour le refuge ! s’écria le frère quêteur ; que la vierge Marie et son fils aient pitié de son âme !

— Cet infortuné est-il réellement mort ? demanda le seigneur Génois, plus habitué à l’examen : les personnes saisies par le froid dorment longtemps avant que le sang cesse de circuler.

L’augustin ordonna aux serviteurs du couvent de lever le manteau, quoique espérant peu que cette mesure fût utile. Lorsque le manteau fut retiré, on reconnut le teint livide, les traits cadavéreux d’un homme chez qui la vie était irrévocablement éteinte. Mais comme chez la plupart de ceux qui périssent de froid et qui s’endorment sans le savoir d’un sommeil éternel, il y avait sur le visage de l’étranger une expression de souffrance qui annonçait que son agonie avait été terrible, et que ce mystérieux principe qui unit l’âme au corps avait été séparé dans la douleur. Un cri de Christine interrompit l’examen pénible des voyageurs, et attira leurs regards vers une autre direction. Christine s’était précipitée au cou d’Adelheid, et ses bras la serraient contre elle avec effort, comme si elle eût voulu réunir leurs deux âmes.