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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/341

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quées pour soutenir votre oppression. Si vous saviez avec combien de peine le père de Balthazar apprit à son fils à frapper, combien de longues et pénibles visites s’échangèrent entre ses parents et les miens, afin de lui apprendre son affreux état, vous ne le jugeriez pas si habile ! Dieu ne l’avait pas fait pour cet état, comme il n’avait pas fait beaucoup de grands pour remplir les hautes fonctions qui leur ont été accordées en faveur de leur naissance. Si j’étais accusée, châtelain, vos soupçons seraient plus raisonnables, mes impressions sont plus fortes et plus promptes, et mes passions l’emportent quelquefois sur la raison, quoique les humiliations que j’ai reçues chaque jour dans le cours de la vie aient depuis longtemps abaissé la fierté de mon cœur.

— Votre fille est présente ?

Marguerite montra le groupe où était sa fille.

— L’épreuve est sévère, dit le juge qui commençait à se sentir ému, ce qui est rare pour un juge ; mais il est nécessaire à la paix publique et à la justice que la vérité soit connue. Je suis forcé de confronter ta fille avec le cadavre.

Marguerite reçut cet ordre inattendu avec fermeté ; trop blessée pour se plaindre, mais tremblante pour sa fille, elle alla vers le groupe des femmes, pressa Christine contre son cœur, et la conduisit en silence vers les juges. Elle la présenta au châtelain avec une dignité si calme, que ce dernier en fut touché.

— Voilà la fille de Balthazar, dit-elle. Puis elle se retira d’un pas en arrière pour observer attentivement ce qui allait se passer.

Le juge contempla le pâle et charmant visage de la tremblante jeune fille, avec un intérêt qu’il avait rarement éprouvé pour aucun de ceux qui avaient paru devant lui pendant l’exercice de ses sévères fonctions. Il lui parla doucement et d’une voix encourageante, se plaçant avec intention entre elle et le cadavre, cachant ainsi momentanément à sa vue ce terrible spectacle, afin qu’elle eût le temps, de rassembler son courage. Marguerite le bénit dans son cœur pour cette condescendance et se calma un peu.

— Vous étiez fiancée à Jacques Colis ? demanda le châtelain d’une voix douce qui formait un singulier contraste avec ses premiers interrogatoires.

Christine ne put répondre que par une inclination de tête.

— Votre mariage devait avoir lieu à la fête de l’Abbaye des