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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/389

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Comme on désirait n’avoir aucun témoin des révélations promises par Maso, Conrad et Pippo avaient reçu l’ordre de quitter la montagne avant le reste de la société, et on enjoignit aux muletiers de se tenir un peu en arrière. Au point où le sentier quitte le lac, les voyageurs mirent pied à terre. Pierre marcha en avant, dans l’intention de faire à pied les pas les plus dangereux, et Maso se mit à la tête de la caravane. Lorsqu’il eut atteint le lieu d’où l’on découvre pour la dernière fois le couvent, il s’arrêta, et se détourna pour jeter un dernier regard sur ce monument vénérable.

— Tu hésites ! dit le baron de Willading, s’imaginant que Maso avait l’intention de prendre la fuite.

— Signore, je regarde autour de moi : il est triste de regarder une chose pour la dernière fois, ne fût-ce qu’une pierre ! J’ai souvent traversé ce défilé, mais je n’oserai plus y venir ; car, quoique l’honorable châtelain et le digne bailli aient consenti d’assez bonne grâce à faire le sacrifice de leurs droits en faveur du doge de Gênes, ils seraient peut-être moins polis en son absence. Addio, caro San-Bernardo ! comme moi, tu es solitaire et battu par les orages, et comme moi, malgré ton rude aspect, tu as ton utilité : nous sommes tous les deux des phares, toi pour prévenir le voyageur qu’il peut compter sur un refuge, et moi, pour l’avertir des dangers qu’il faut éviter.

Il y a dans les souffrances une dignité qui attire notre sympathie. Tous ceux qui entendirent cette allusion au couvent des Augustins furent frappés de sa simplicité et de sa moralité. Ils suivirent l’orateur en silence jusqu’à l’endroit où le sentier devient une descente rapide. Ce lieu était favorable aux desseins d’Il Maledetto. Quoique toujours au niveau du lac, le couvent était caché aux yeux des voyageurs par une barrière de rochers au-dessous d’eux était un ravin ferrugineux que l’éternelle action des différentes saisons avait découpé de mille manières : tout ce qui les entourait présentait l’apparence du chaos, comme au temps où les éléments n’avaient point encore reçu l’impulsion puissante du Créateur. L’imagination peut à peine se peindre une plus grande scène de solitude et de désolation.

— Signore, dit Maso en découvrant sa tête avec respect et parlant avec le plus grand calme, cette confusion de la nature ressemble à mon propre caractère. Ici, tout est brisé, stérile, sauvage ; mais la patience, la charité, la bienfaisance, ont bien