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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/48

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naguère si exigeant, si querelleur, et à présent si malheureux, parce qu’il était trompé dans ses espérances, avoua qu’il lui était impossible d’arriver au port avant la brise de la nuit, et il se jeta sur une malle pour cacher son chagrin en feignant de dormir. On vit alors une multitude de têtes se lever successivement du milieu des ballots ; les corps suivirent bientôt la même impulsion, et la barque se trouva remplie d’êtres animés.

L’excitante fraîcheur de l’air, le calme du soir, la perspective d’une arrivée heureuse, sinon très-prompte, et le repos après une fatigue excessive, produisirent une réaction aussi soudaine qu’agréable dans les dispositions des passagers.

Le baron de Willading et son ami, qui n’avaient ressenti aucun des inconvénients dont je viens de parler, partagèrent cet élan général de satisfaction et de bien-être, et ils encourageaient par leur affabilité et leur sourire plutôt qu’ils ne contraignaient par leur présence les plaisanteries et les bons mots des différents individus qui composaient la masse bizarre de leurs compagnons inconnus.

Nous devons décrire à présent avec plus de détails l’aspect et la position de la barque, ainsi que les caractères de ceux qui se trouvent à son bord. La manière dont le bâtiment était chargé jusqu’à fleur d’eau a déjà été mentionnée plus d’une fois. Tout le centre du grand-pont, partie du Winkelried qui, par la saillie du passe-avant, avait une étendue plus considérable que ne l’ont partout ailleurs les vaisseaux du même tonnage, ce qui, au reste, lui était commun avec toutes les autres barques du Léman, se trouvait si encombré par la cargaison, que l’équipage ne pouvait aller de l’avant à l’arrière qu’en montant parmi les caisses et les ballots entassés à une hauteur qui surpassait la taille d’un homme. On avait réservé près de la poupe un étroit espace dans lequel les personnes qui occupaient cette partie du pont pouvaient se mouvoir, quoique dans des limites assez rétrécies, tandis que, par derrière la large barre du gouvernail s’agitait dans son demi-cercle. À l’autre extrémité, le gaillard d’avant était suffisamment libre, chose tout à fait indispensable ; mais cette partie si importante du pont était cependant chargée des pattes de neuf ancres rangées dans sa largeur, précaution d’une indispensable nécessité pour la sûreté des bâtiments qui s’aventurent dans la pointe orientale du lac. Dans cet état de repos absolu, le Winkelried ressemblait à un petit fort au milieu de l’eau, rempli de