CHAPITRE XV.
l est toujours agréable d’arriver en sûreté au but d’un voyage
long, pénible et dangereux ; mais le plaisir augmente encore de
beaucoup quand on arrive dans un nouveau pays, sous un climat
échauffé par la vapeur, et habité par une autre espèce d’êtres. À
ma satisfaction se joignait la réflexion que j’avais obligé particulièrement
fièrement quatre étrangers aimables et intéressants, que la fortune
contraire avait jetés entre les mains des hommes, et qui me
devaient plus que la vie, puisque je les avais rendus à leurs droits
naturels et acquis, à la place qui leur appartenait dans la société,
et à la liberté. Le lecteur peut donc juger combien je me félicitai
intérieurement en recevant les remerciements des quatre Monikins,
qui me firent les protestations les plus solennelles, non
seulement que tous leurs biens présents et à venir seraient en
tout temps à ma disposition, mais qu’ils se considéreraient toujours
comme mes esclaves. On sent que je fus bien loin de me
prévaloir du petit service que je leur avais rendu ; je leur protestai
au contraire que je regardais ce voyage comme une partie de
plaisir plutôt que comme une obligation que je leur avais imposée,
leur rappelant que j’avais appris à connaître une philosophie
nouvelle pour moi, et que, grâce au système décimal, j’avais déjà
fait certains progrès dans leur langue ancienne et savante. À
peine ce combat de civilités était-il terminé que nous vîmes
arriver la barque du capitaine du port.
L’arrivée d’un bâtiment monté par des Hommes était un événement qui devait faire sensation dans un pays habité par des Moni-