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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/206

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Le docteur traça un tableau animé de la manière dont ses compagnons et lui avaient supporté toutes les épreuves. L’aimable Chatterissa, — car elle était présente à cette séance ainsi que mistress Lynx, détourna la tête en rougissant, quand il dit que la flamme pure qui brûlait dans son cœur avait résisté à l’influence engourdissant de la contrée glaciale ; et lorsqu’il répéta la déclaration passionnée que lord Chatterino avait faite à sa maîtresse au centre d’un champ de glace, et la réponse pleine de tendresse qu’elle y fit, je crus que les applaudissements des académiciens feraient tomber sur nos têtes le dôme qui les couvrait.

Enfin, il arriva au point de son récit où les aimables voyageurs rencontrèrent un bâtiment faisant la pêche des veaux marins sur cette île inconnue, où le hasard et la fortune contraires les avaient malheureusement conduits. J’avais eu soin de donner des instructions secrètes à M. Poke et à mes autres compagnons sur la manière dont ils devaient se conduire quand le docteur informerait son auditoire du premier outrage que la cupidité des hommes avait commis en le réduisant en esclavage lui et ses amis. Nous devions alors nous lever en masse, détourner un peu le visage, et nous couvrir les yeux en signe de honte. Il m’avait semblé que nous ne pouvions faire moins sans manifester une indifférence peu convenable aux droits des Monikins ; et faire plus, c’eût été en quelque sorte nous identifier avec les individus de notre espèce qui s’étaient rendus coupables de ce crime. Mais nous n’eûmes pas besoin de donner à nos hôtes cette preuve de délicatesse. Le docteur, avec une adresse qui faisait véritablement honneur à la civilisation des Monikins, donna à toute cette affaire une tournure ingénieuse, qui affranchit l’espèce humaine de toute honte, et qui, si elle devait obliger quelqu’un à rougir, jetait par un acte de noble désintéressement tout le poids de cette obligation sur lui-même. Au lieu d’appuyer sur la manière indigne dont ses amis et lui avaient été privés de leur liberté, le digne docteur informa tranquillement son auditoire que le hasard l’ayant mis en contact avec une autre espèce d’êtres, et lui fournissant inopinément les moyens de faire d’importantes découvertes ; sachant que les savants désiraient depuis longtemps de voir de plus près la société humaine, et de s’en former une idée plus correcte ; croyant qu’il avait un pouvoir discrétionnaire sur ses