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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/213

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les uns des autres. Ayant alors le temps de rentrer en moi-même, je ne perdis pas un instant pour tirer à part les deux enseignes, et je leur proposai de nous rendre en corps devant un notaire pour faire une protestation contre les erreurs inconcevables dans lesquelles le docteur Reasono s’était permis de tomber ; erreurs qui violaient la vérité, qui étaient contraires aux droits individuels, qui déshonoraient l’humanité ; et qui égaraient les philosophes de Leaphigh. Je ne puis dire que mes arguments furent bien accueillis, et je fus obligé de quitter lies deux contre-amiraux pour aller chercher l’équipage, avec la conviction que les deux enseignes s’étaient laissé gagner. Je croyais qu’un appel au caractère franc, loyal et insouciant des matelots ne pouvait manquer d’obtenir plus de succès, mais j’étais destiné à subir un nouveau désappointement de ce côté. Ils jurèrent que Leaphigh était un excellent pays, et qu’ils comptaient bien que leur paie et leur ration seraient proportionnées à leur nouveau grade. Se croyant déjà en possession des douceurs du commandement, ils n’étaient pas disposés à chercher querelle à la fortune, ni à quitter le pot d’argent pour le pot au goudron.

Quittant ces coquins dont la tête semblait réellement tournée par leur élévation imprévue, je me mis à la poursuite de Bob pour le forcer, à l’aide des arguments ordinaires du capitaine Poke, à reprendre son service auprès de moi. Je trouvai le jeune drôle au milieu d’un essaim des Monikins de tout âge qui lui prodiguaient leurs attentions, et faisaient tout ce qui leur était possible pour extirper en lui tout sentiment d’humilité et toute bonne qualité, s’il en avait. Il m’offrait certainement une bonne occasion pour commencer l’attaque, car il portait sur ses épaules, en guise de manteau royal, le lambeau de drapeau qui servait communément de doublure à ses culottes, et une foule de Monikines de rang inférieur se disputaient à qui en baiserait les pans. L’air de dignité avec lequel il recevait leurs adulations m’imposa presque ; et, craignant que toutes les Monikines ne tombassent sur moi si j’essayais de les détromper, — car les Monikines, de quelque race qu’elles soient, aiment toujours à se repaître d’illusions, — j’abandonnai pour le moment mes intentions hostiles, et je me mis à chercher le capitaine Poke, ne doutant pas qu’il ne me fût aisé d’amener un homme dont l’esprit était naturellement droit, à envisager les choses sous leur véritable point de vue.