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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/316

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qui soutient la validité de certaines théories inventées tout exprès pour justifier une série de faits accidentels, exemple que nous donne souvent notre modèle par excellence, Leaphigh. Nous sommes dans une position singulière par rapport à ce pays. Ici on peut poser en principe que les faits, — je parle des faits politiques et sociaux, — sont très en avant de l’opinion, par la simple raison que les premiers sont laissés à leur libre impulsion, et que les derniers sont de toute nécessité influencés par l’habitude et les préjugés ; tandis que, dans la vieille région, l’opinion, je parle de celle qui domine, est très en avant des faits, parce que ceux-ci sont restreints par l’usage et l’intérêt personnel, et que l’opinion est excitée par l’étude et par la nécessité d’innover.

— Permettez-moi de dire, brigadier, que vos institutions actuelles me semblent un résultat très-remarquable d’un tel état de choses.

— Elles sont une cause plutôt qu’une conséquence. Partout l’opinion est une puissance qui marche en avant, et ici même elle est plus avancée, comme pouvoir, que toute autre chose. Le hasard a favorisé la fondation de notre société, et une fois fondée, les faits ont marché trop vite pour que l’esprit monikin pût aller de concert avec eux. C’est la position remarquable mais vraie de tout pays. Dans les autres contrées monikines, vous verrez l’opinion luttant contre la routine de l’usage, et faisant des efforts désespérés pour la dégager des lisières que lui imposent les intérêts individuels, tandis qu’ici les faits firent l’opinion à leur suite[1]. Quant à nos institutions et à nos folies sociales, tout absurdes qu’elles sont, elles se renferment dans une classe peu nombreuse ; mais l’esprit des endoctrinés est une affaire beaucoup plus sérieuse. Trop confiants en eux-mêmes, ils attaquent ce qui est bon, souvent très-innocemment et sans le savoir ; grâce à eux, le vaisseau de l’État navigue comme un bâtiment qui traîne un radeau à sa remorque.

— Position vraiment neuve pour une nation monikine éclairée !

  1. On serait tenté de penser que le brigadier Downright a visité depuis peu notre heureuse et éclairée contrée. Il y a cinquante ans que le nègre esclave à New-York ne pouvait épouser une blanche. Les faits ont néanmoins suivi une marche progressive, et d’un privilège à l’autre, il est parvenu à obtenir celui de consulter son propre goût dans cette affaire, et d’agir comme bon lui semble dans les occasions qui le concernent personnellement Voilà le fait ; mais celui qui oserait en parler aurait ses fenêtres brisées par le peuple obéissant à la puissance de l’opinion.