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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/320

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de se conduire désormais à sa guise : pour mieux y parvenir, et en même temps humilier la mère-patrie, elle décida que sa propre politique, tout en s’en rapprochant le plus possible, serait cependant si évidemment supérieure à celle de Leaphigh que les imperfections de cette dernière frapperaient l’observateur le plus superficiel. Je vais à présent démontrer avec quelle fidélité cette patriotique résolution fut exécutée.

Le vieux principe humain qui fait dériver de Dieu l’autorité politique a longtemps prévalu à Leaphigh ; bien que, ainsi que le disait une fois M. Downright, je ne puisse découvrir le motif qui a pu l’établir en aucun lieu, le malin esprit ayant évidemment plus de part à l’action de ce pouvoir que nulle autre intelligence. Quoi qu’il en soit, le jus divinum, le droit divin, servit de régulateur au pacte social de Leaphigh jusqu’au moment où la noblesse intrigua pour s’emparer de la meilleure part du jus, laissant le divinum s’arranger comme il pourrait. C’est alors que naquit la constitution actuelle. Chacun peut avoir observé qu’un bâton mis debout tombera tout naturellement s’il n’est pas enfoncée dans la terre ; deux ne tiendront pas mieux, même en unissant leurs sommets ; mais trois se prêteront un mutuel appui. Cette simple et sublime idée a donné l’être au gouvernement de Leaphigh. Trois piliers moraux furent élevés au milieu de l’ordre social ; on plaça le roi au pied de l’un pour l’empêcher de glisser, seul danger qui menace un tel système ; les nobles se mirent au pied du second, et le peuple à celui du troisième ; les rouages de l’État se placèrent au sommet de ce trépied. Ceci fut trouvé une fort belle invention en théorie, quoique la pratique, comme cela arrive souvent, l’ait soumise à quelques modifications essentielles. Le roi, qui avait la libre disposition de son bâton, donnait beaucoup d’embarras à ses associés, ne voulant pas déranger la théorie qui semblait irrévocablement établie et consacrée ; la noblesse, qui, pour sa convenance particulière, soudoyait les principaux manœuvres placés au bâton du peuple, afin qu’ils tinssent ferme, chercha les moyens de tenir aussi le bâton royal dans une attitude plus uniforme et plus utile. Ce fut dans cette occasion que, découvrant qu’il était à jamais impossible au roi de laisser le bout du bâton à l’endroit où il avait juré de le maintenir, on décréta solennellement qu’il devait avoir oublié où se trouvait le point d’appui du trépied constitutionnel, et que sa mémoire était perdue