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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/344

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« Période de l’occultation, 9 ans 7 mois 26 jours 4 heures 16 minutes 2 secondes. »

Je regardai le brigadier avec autant d’admiration que d’effroi. Il n’y avait rien de remarquable dans l’éclipse elle-même, c’était un événement journalier ; mais la précision avec laquelle elle avait été calculée donnait à ces calculs la terrible apparence d’avoir pénétré dans l’avenir. Je commençai à m’apercevoir de l’immense différence qui existe à vivre sciemment sous l’influence d’une ombre morale, ou de vivre sous cette même influence sans le savoir. Ce dernier point était évidemment un jeu comparativement au premier. La Providence a travaillé à notre bonheur avec sa prévoyance ordinaire en nous refusant le don de voir au-delà du présent.

Noé prit cette affaire encore plus à cœur que moi. Il me dit d’un air inquiet et prophétique que nous approchions de l’équinoxe d’automne, que nous allions atteindre l’époque d’une nuit de six mois. Le substitut de la vapeur pouvait en quelque degré adoucir le mal ; mais c’était cependant un terrible malheur et un grand ennui d’exister pendant une période aussi longue sans jouir de la lumière du soleil. Il trouvait déjà assez fatigant l’éternel éclat du jour, mais il ne croyait pas qu’il lui serait possible de supporter son absence totale. Quant au crépuscule dont on parlait tant, cela valait moins que rien, n’étant ni une chose ni une autre. Pour sa part, ajoutait-il, il aimait ce qui était taillé en plein drap. Il avait envoyé son vaisseau sur un point éloigné, afin qu’il n’y eût plus ni capitaines, ni amiraux, parmi le peuple, et depuis quatre jours il ne vivait que de noix. Des noix pouvaient suffire à la philosophie d’un singe, mais il s’apercevait par expérience qu’elles ne convenaient guère à la philosophie d’un homme. Les choses allaient de mal en pis. Il éprouvait la plus violente envie d’avoir un peu de porc, il s’inquiétait peu qu’on le sût. Ce n’était peut-être pas une nourriture très-sentimentale, mais c’était une nourriture excellente à bord d’un vaisseau. Il y avait du porc dans sa nature, il croyait qu’il y en avait plus ou moins dans celle de la plupart des hommes. Les noix pouvaient convenir à la nature monikine, mais la nature humaine aimait la viande ; si les singes ne l’aimaient pas, ils n’avaient pas besoin d’en manger : il en resterait davantage pour ceux qui en avaient le goût. Il sentait le besoin de son aliment naturel ; et quant à