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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/367

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— Il peut vous sembler bizarre, sir John, de trouver sur le chemin de la fortune un politique qui en apparence est plongé dans l’abîme du désespoir. Telle est cependant ma position. À Leaplow, l’humilité est tout. Le Monikin qui veut bien s’astreindre à répéter perpétuellement qu’il est le plus pauvre diable qui existe ; que l’emploi le plus bas est encore au-dessus de ses moyens ; que sous tous les rapports il devrait être expulsé de la société ; peut en toute sûreté se croire dans la bonne voie pour être élevé à quel qu’une des dignités qu’il se proclame lui-même le plus indigne d’obtenir.

— Ce qu’il y a de mieux alors est de faire son choix et de déclarer hautement son incapacité pour ce même emploi.

— Vous êtes rempli de sagacité, sir John, et vous réussirez si vous consentez à rester avec nous ! dit le juge en clignant les yeux.

— Je commence à voir clair : vous n’êtes ni chagrin, ni humilié.

— Pas le moins du monde. Il est plus important pour un Monikin de mon poids de paraître être quelque chose que de l’être en effet. Mes concitoyens sont d’ordinaire satisfaits avec ce sacrifice, et à présent que le principe est éclipsé, rien n’est plus aisé.

— Mais comment un être d’une agilité et d’une dextérité aussi étonnantes a-t-il pu se laisser surprendre faisant un faux pas ? Je vous croyais d’une adresse sans égale, et infaillible dans toutes vos évolutions. Peut-être la petite aventure de la cauda a-t-elle fait du bruit ?

Le juge se mit à rire en me regardant.

— Je vois, sir John, que vous n’êtes pas encore au fait de ce qui nous concerne. Nous avons proscrit les caudœ comme anti-républicaines, les deux opinions s’étant prononcées contre elles ; et cependant un Monikin pourrait avec impunité en porter une longue d’un mille, s’il voulait se soumettre de nouveau au rasoir en rentrant dans ses foyers et jurer qu’il est un misérable indigne de vivre. S’il pouvait de plus dire quelques mots flatteurs sur les chats et les chiens de Leaplow, que Dieu vous bénisse, Monsieur, on lui pardonnerait la trahison même.

— Me voici sur la voie de votre tactique, sinon de votre politique. Le gouvernement de Leaplow étant populaire, il devient nécessaire que ses agents soient populaires aussi. Et comme les Monikins se délectent naturellement dans leur propre excellence,