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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/52

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l’autre, et il le remit entre mes mains, ne le lâchant que lentement, et avec une sorte de répugnance.

— Tu ne l’ouvriras que lorsque je ne serai plus avec toi ; John. —

Une larme s’échappa de mes yeux, et tomba sur sa main décharnée. Il me regarda fixement, et sa main fit sentir à la mienne une légère pression, qui annonçait de l’affection.

— Il eût été à désirer que nous nous fussions mieux connus, John ; mais la Providence m’a fait naître sans père, et ma propre folie m’a fait vivre sans enfant. — Ta mère était une sainte, je le crois ; mais je crains de l’avoir appris trop tard.

Mon père ayant montré le désir de prendre du repos, je rappelai la garde, et, quittant son appartement, je me rendis dans la chambre qu’on appelait la mienne, et j’y plaçai dans un secrétaire, que j’eus soin de bien fermer, le gros paquet qu’il m’avait remis. Il était cacheté de son sceau ; et il y avait écrit mon adresse de sa propre main. Je ne le vis plus qu’une seule fois en état de raisonner d’une manière intelligible. Depuis le moment de notre première entrevue, sa situation empira, et sa raison disparut graduellement.

Trois jours après mon arrivée, tandis que j’étais seul avec lui, il sortit tout à coup d’une sorte de stupeur. Ce fut la seule fois qu’il me reconnut après notre première entrevue.

— Te voilà enfin ! me dit-il d’un ton qui avait déjà quelque chose de sépulcral ; peux-tu me dire, John, pourquoi ils ont trois verges d’or pour mesurer la ville ? Sa garde venait de lui lire un chapitre de l’Apocalypse, qu’il avait choisi lui-même. — Tu vois, mon garçon, que les murailles sont de jaspe et la ville d’or pur. — Je n’aurai pas besoin d’argent dans ma nouvelle habitation. On n’en manquera pas dans ce pays. — Je n’ai pas le cerveau fêlé, John ; je voudrais avoir aimé l’argent un peu moins, et mes semblables un peu plus. — Une ville d’or pur et des murailles de jaspe ! — Séjour précieux ! — Tu m’entends, John ? — Je suis heureux, — trop heureux ! — Une ville d’or ! —

Ces mots furent les derniers qui sortirent de la bouche de Thomas Goldencalf. Le dernier de tous fut presque un cri, qui fit entrer la garde et les domestiques, qui virent que mon père venait d’expirer. Dès que cette triste vérité fut bien établie, je fis sortir tout le monde, et je restai quelques minutes seul avec le corps du défunt. Ses traits avaient déjà pris l’expression de la