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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/405

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ders est occupé d’idées plus matérielles. — Eh bien ! monsieur Leach, personne n’a-t-il encore chanté « la terre » de là-haut ? Les sables du New-Jersey devraient être visibles depuis quelque temps.

— Nous avons vu le reflet de la terre dès le point du jour, mais non la terre, capitaine.

— En ce cas, comme le vieux Christophe Colomb, c’est moi qui ai gagné le pourpoint de velours. — Terre, ho !

Les deux lieutenants et tout l’équipage se mirent à rire, regardèrent en avant, se firent des signes les uns aux autres, et le mot terre ! passa de bouche en bouche avec l’indifférence que montrent les marins quand ils la voient après un voyage de peu de durée. Il n’en fut pas de même des passagers ; ils coururent tous sur l’avant, et s’efforcèrent de découvrir la côte si désirée ; mais, à l’exception de Paul, aucun d’eux ne put l’apercevoir.

— Il faut que nous vous demandions votre aide, lui dit Ève, qui alors n’adressait jamais la parole au jeune et beau marin sans que ses joues se couvrissent d’un coloris plus vif ; car nos yeux nous servent si mal que, malgré tout notre désir, nous ne pouvons rien voir.

— Ayez la bonté de regarder d’ici en droite ligne par-dessus le jas de cette ancre, répondit Paul, toujours heureux de trouver une excuse pour s’approcher d’elle, et vous découvrirez quelque chose sur l’eau.

— Je le vois ; mais n’est-ce pas uni bâtiment ?

— Sans doute ; mais un peu sur la droite de ce bâtiment, n’apercevez-vous pas un objet nuageux un peu au-dessus de la mer ?

— Vous voulez dire ce nuage, ou plutôt une masse de vapeurs sombre et indistincte.

— Cela peut vous paraître ainsi, mais à mes yeux c’est la terre. C’est le promontoire qui termine les hauteurs célèbres de Nevesink. En le regardant une demi-heure, vous verrez de moment en moment sa forme se dessiner d’une manière plus distincte.

Ève se hâta de montrer cet endroit à mademoiselle Viefville et à son père ; et, à compter de ce moment, les yeux de presque tous les passagers furent fixés sur ce point pendant une heure. Comme Paul l’avait prédit, la couleur bleue de ce qui avait paru une masse de vapeurs prit une teinte plus foncée ; sa base parut ensuite toucher à l’eau, et l’on n’y trouva plus aucune ressemblance avec un nuage. Vingt minutes après, toutes les formes du promontoire devinrent visibles ; on vit les arbres qui croissaient sur ses flancs, et enfin un double phare parut sur son sommet.