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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/170

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tiques n’établissent entre les hommes que bien peu de différence ; et bien loin de s’être laissé abuser par le clinquant de la vie, en passant tant d’années sous son influence immédiate, elle avait appris à discerner le faux et le vrai, à reconnaître ce qui est respectable et utile, et à le distinguer de ce qui n’est que la suite d’un égoïsme arbitraire. Ève pensait donc que la position d’un Américain bien élevé pouvait et même devait être la plus haute de toutes les positions humaines, à l’exception de celle de souverain. Un tel homme à ses yeux n’avait pas de supérieur dans la société, sauf ceux qui sont chargés de la gouverner, et elle croyait qu’un tel homme était plus que noble, puisque la noblesse même a ses degrés. Elle avait été habituée à voir son père et John Effingham reçus dans les premiers cercles d’Europe, respectés pour leurs connaissances et leur esprit indépendant ; ne se faisant distinguer en rien des autres par leurs manières, excitant l’admiration par leur bel extérieur, leur politesse, leur air noble et leurs principes ; ayant toutes les habitudes qui suivent une bonne éducation pleins de libéralité, montrant une dignité mâle, et n’ayant personne entre eux et la Divinité. Elle avait donc appris à regarder les Européens de sa race comme égaux en rang à quelques Européens que ce fût, et comme supérieurs à la plupart d’entre eux pour tout ce qui est essentiel à la véritable distinction. Ce n’était pas comme princes et comme ducs qu’elle estimait les hommes qui portaient ces titres, et comme son esprit parcourait avec rapidité la longue liste des degrés artificiels de la société européenne, et qu’elle voyait Grace attacher de l’importance au rang équivoque et purement conventionnel de baronnet anglais, il lui sembla que quelque chose de burlesque s’attachait à cette idée.

— « Un simple Américain, » Grace ! dit-elle, répétant les paroles de sa cousine ; un simple Américain bien élevé n’est-il pas l’égal d’un pauvre baronnet ?

— D’un pauvre baronnet, Ève !

— Oui, ma chère, d’un pauvre baronnet ; je connais fort bien la signification et la portée de ce que je dis. Je sais que nous ne connaissons pas la famille de M. Powis comme nous pourrions la connaître, dit Ève ; et ici des couleurs plus vives lui couvrirent les joues, en dépit de tous les efforts qu’elle faisait pour les empêcher d’y paraître ; — mais nous savons qu’il est Américain ; c’est quelque chose du moins, et nous voyons qu’il est bien élevé, et quel Américain bien élevé peut être au-dessous d’un baronnet