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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/254

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dois à un de ces hommes qui, par suite d’un caractère généreux, ou, si vous le voulez, d’un caprice, adoptent quelquefois des individus qui leur sont étrangers par le sang. Mon tuteur m’adopta, m’emmena avec lui, me fit entrer encore bien jeune dans la marine, et finit par me laisser tout ce qu’il possédait. Comme il était garçon, qu’il n’avait pas de proches parents, et qu’il ne devait sa fortune qu’à lui seul, j’acceptai sans scrupule le don qu’il m’avait fait avec tant de libéralité. Il y ajouta une sorte de condition que je quitterais le service, que je voyagerais pendant cinq ans, que je reviendrais ensuite en Amérique, et que je me marierais. Mais il n’avait pas prononcé la nullité du legs si je ne m’y conformais pas en tout : c’était uniquement un avis solennel donné par un homme qui m’avait prouvé si longtemps qu’il était mon véritable ami.

— Je lui envie l’occasion qu’il a eue de vous être utile. J’espère qu’il aurait approuvé votre fierté nationale ; car je crois qu’au fond c’est à ce sentiment qu’il faut attribuer en grande partie votre désintéressement dans l’affaire de la pairie.

— Oui, sans doute, il l’aurait approuvée. Mais il ne sut jamais que j’y avais des droits, car je ne les acquis que par la mort de deux lords qui étaient frères de mon aïeule. Mon tuteur était un homme honorable sous tous les rapports, et surtout par sa fierté nationale. Quand il était en Europe, on lui offrit un ordre étranger ; mais il le refusa avec la dignité d’un homme qui sentait qu’un Américain ne devait pas accepter une distinction que son pays avait rejetée.

— Je porte presque envie à cet homme, dit John Effingham avec chaleur. Avoir su vous apprécier, Powis, c’est la marque d’un excellent jugement ; mais il paraît qu’il s’est convenablement apprécié lui-même, ainsi que son pays et la nature humaine.

— Et pourtant il était peu apprécié par les autres. Il passa bien des années dans une de nos plus grandes villes, sans qu’on fît plus d’attention à lui qu’à un des esprits les plus communs. On pensait moins à lui qu’au moindre courtier.

— Il n’y a rien en cela qui me surprenne. La classe des élus est trop petite partout pour qu’elle soit nombreuse sur aucun point donné, et surtout parmi une population éparse comme celle de l’Amérique. Le courtier apprécie le courtier aussi naturellement que le chien apprécie le chien et le loup le loup. Les qualités dont vous venez de parler sont celles qui doivent être convenablement