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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/260

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d’avoir avec le commodore lui avait paru nécessaire pour soutenir sa dignité, et il l’avait engagée pour lui faire sentir sa supériorité. Cette supériorité une fois reconnue par son compagnon, il aurait été assez disposé à admettre que celui-ci était beaucoup meilleur pêcheur que lui ; mais la discussion n’était pas encore assez avancée pour qu’il fît cette concession ; et piqué de la dernière remarque du commodore, il aurait été prêt à affirmer qu’il avait mangé des sogdolladers à son déjeuner un mois tout entier, s’il eût été nécessaire.

— Bon, bon, répondit-il avec un air d’indifférence, vous ne vous imaginez sûrement pas que vous ayez dans un lac comme celui-ci des poissons qui ne se trouvent pas dans l’Océan. Si l’on voyait la queue d’une baleine battre l’eau de votre mare, tous vos croiseurs ne songeraient qu’à chercher un port. Quant aux sogdolladers, nous en faisons assez peu de cas sur l’eau salée ; le poisson volant et même le dauphin sont beaucoup meilleurs à manger.

— Monsieur ! s’écria le commodore avec quelque chaleur et beaucoup d’emphase, il n’y a qu’un sogdollader dans le monde, et il est dans ce lac. Personne ne l’a jamais vu que moi, sauf mon prédécesseur l’amiral.

— Bah ! il y en a autant que de merlans dans la Méditerranée, et les Égyptiens les font frire. Dans les mers de l’Orient, on s’en sert pour amorcer les lignes pour prendre des cabillauds et d’autres poissons de moyenne taille qui sont difficiles sur le choix de leur nourriture ; car je ne nie pas que le sogdollader ne soit un bon poisson, et cette circonstance en est la preuve.

— Je vous répète, Monsieur, s’écria le commodore en s’échauffant, qu’il n’y a qu’un seul sogdollader dans tout l’univers, et qu’il est dans le lac Otségo. Le sogdollader est une truite saumonée ; une sorte de père de toutes les truites saumonées de cette partie du monde, un patriarche couvert d’écailles.

— Je ne doute pas que votre sogdollader n’ait assez d’écailles ; mais à quoi bon perdre le temps à parler d’un pareil poisson ? La baleine est le seul qui mérite d’occuper les pensées d’un homme. Quoique j’aie passé bien du temps sur la mer, je n’en ai jamais vu prendre que trois.

Ces derniers mots servirent heureusement au maintien de la paix ; car s’il y avait dans le monde quelque chose pour laquelle le commodore eût une profonde vénération, c’était une baleine.