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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/291

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Tout à coup un changement total s’opérait ; l’endroit qui avait été illuminé se couvrait d’une obscurité profonde, et quelques balles tombant dans celui qui semblait être le domaine de la nuit, le montrait peuplé de figures joyeuses et de jeunes gens pleins d’activité. La transition continuelle de la lumière à l’obscurité, avec toutes les variations de jour et d’ombre, formait le trait le plus saillant de cette scène, et excita l’admiration de toute la compagnie que nous avons laissée sur le balcon de l’auberge.

Mais c’est charmant ! s’écria mademoiselle Viefville, qui était enchantée de découvrir parmi « les tristes Américains » quelque chose qui ressemblât au plaisir et à la gaieté, et qui ne les avait même jamais soupçonnés d’être en état de se livrer une jouissance qui paraissait si vive.

— C’est un des plus jolis amusements de village que j’aie jamais vus, dit Ève, quoiqu’on puisse craindre qu’il ne soit un peu dangereux. Il y a quelque chose de « rafraîchissant, » comme le disent les rédacteurs de journaux, à voir une ville en miniature comme Templeton, daigner se livrer au plaisir à la manière d’un simple village. Ma plus forte objection à la vie de campagne en Amérique, c’est le désir ambitieux des villages de singer les villes, et d’échanger l’aisance et l’abandon qui doivent les caractériser contre cet air de roideur et de formalité qui rend les enfants si ridicules quand on leur met des habits de grande personne.

— Quoi ! s’écria John Effingham, vous imaginez-vous qu’il soit possible de réduire un homme libre à se priver de ses échasses ? Non, non, miss Ève ; vous êtes à présent dans un pays où, si vous avez deux rangées de garnitures à votre robe, votre femme de chambre voudra en avoir trois pour maintenir l’équilibre. Telle est la noble ambition de la liberté.

— Le faible d’Annette est d’aimer les garnitures, cousin John, et ce sont vos yeux qui vous ont fourni cette image plutôt que votre imagination. Cette ambition, si c’en est une, est française aussi bien qu’américaine.

— N’importe ; que ce soit Annette qui m’ait fourni cette image, elle n’en est pas moins vraie. — N’avez-vous pas remarqué, sir George, que les Américains ne veulent pas même souffrir l’ascendant d’une capitale ? Autrefois, Philadelphie, qui était alors la plus grande ville du pays, était la capitale politique ; mais c’en était trop pour une ville de jouir en même temps de la considération due à l’étendue et à la politique aussi l’honnête public s’est-il