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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/412

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je crois, nous autres femmes, plus faibles que le chagrin même.

Paul lui baisa les deux yeux, il la regarda un instant avec une intensité d’admiration qui fit que les yeux d’Ève se levèrent et se baissèrent successivement, comme s’ils eussent été éblouis en rencontrant ceux de son mari, et que cependant elle n’eût pas voulu perdre un seul de ses regards ; enfin, il en vint au sujet qui l’avait amené dans la bibliothèque.

— Mon père, — qui est à présent aussi le vôtre…

— Mon cousin John !

— Votre cousin John, si vous le voulez ; il vient de me faire un présent qui ne le cède qu’à celui que votre excellent père m’a fait hier aux pieds de l’autel. Voyez, chère Ève, il m’a donné cette miniature, qui est votre fidèle image, quoique bien au-dessous de l’original ; et il m’a donné aussi le portrait de ma pauvre mère pour remplacer celui que m’ont enlevé les Arabes.

Ève considéra longtemps et avec attention les beaux traits de la mère de son mari. Elle y retrouva cet air de douceur pensive et de bonté attrayante qu’elle avait remarqué en Paul, et qui avait d’abord gagné son cœur. Ses lèvres tremblèrent quand elle les appuya sur cette image insensible.

— Elle doit avoir été très-belle, Ève, et sa figure a un air de tendresse mélancolique qui semblait presque prédire que sa sensibilité serait cruellement froissée.

— Et pourtant, Paul, cette jeune femme ingénue et fidèle a contracté l’engagement solennel que nous venons de former, avec autant d’espoir raisonnable de bonheur que nous en avons nous-mêmes.

— Vous vous trompez, Ève. La confiance et la sainte vérité manquaient à l’union qu’elle forma avec mon père ; et quand la bonne foi ne règne pas dès le commencement du contrat, il n’est pas difficile d’en prévoir la fin.

— Je ne crois pas que vous ayez jamais trompé personne, Paul. Vous avez le cœur trop généreux.

— Si quelque chose peut rendre un homme digne d’une telle affection, ma chère Ève, c’est la noble et entière confiance avec laquelle votre sexe s’abandonne à la justice et à la bonne foi du nôtre. Votre cœur si pur a-t-il jamais douté de personne ?

— Oui, Paul, — de moi, bien souvent. — Et pourtant on dit que l’égoïsme est au fond de toutes nos actions.

— Vous êtes la dernière personne du monde qui deviez émettre