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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/130

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ture, maître Cap, vos doigts s’en seraient ressentis. C’est un porc-épic.

— Sur ma foi, il me semblait bien que ce n’était pas de bon et vrai porc. Mais je pensais qu’ici, dans les bois, un porc même pouvait perdre quelque chose de ses bonnes qualités. Il me paraissait raisonnable que le cochon d’eau douce ne fût pas tout à fait aussi bon que le cochon d’eau salée. Mais à présent je suppose que c’est la même chose pour vous, sergent ?

— Pourvu que je ne sois pas chargé de l’écorcher, frère Cap. — Pathfinder, j’espère que vous n’avez pas trouvé Mabel récalcitrante pendant la marche ?

— Non, non, sergent. Si Mabel est seulement à moitié aussi satisfaite de Jasper et de Pathfinder que Pathfinder et Jasper sont contents d’elle, nous serons amis pour tout le reste de notre vie.

En parlant ainsi, il leva les yeux sur elle avec une sorte de curiosité fort innocente de savoir ce qu’elle pensait à ce sujet. Mais à l’instant même, et avec une délicatesse naturelle qui prouvait qu’il était bien loin de vouloir, en homme grossier, pénétrer les sentiments secrets d’une femme, il les baissa sur son assiette comme s’il eût regretté sa hardiesse.

— Eh bien ! en bien ! il faut nous souvenir que les femmes ne sont pas des hommes, — répliqua le sergent, — et avoir égard à leur caractère et à leur éducation. Un conscrit n’est pas un vétéran. On sait qu’il faut plus longtemps pour faire d’un homme un bon soldat que pour en faire toute autre chose, et il doit falloir aussi un temps plus qu’ordinaire pour former une fille de sergent.

— Voilà une nouvelle doctrine, sergent, — s’écria Cap avec quelque vivacité. — Nous autres vieux marins, nous sommes portés à croire qu’on pourrait faire six soldats, oui, et six excellents soldats, en moins de temps qu’il n’en faut pour faire l’éducation d’un seul marin.

— Oui, oui, frère Cap, je sais quelque chose de l’opinion que les marins ont d’eux-mêmes, — répondit le sergent avec un sourire aussi agréable que le comportait l’austérité de ses traits ; — car j’ai été plusieurs années en garnison dans un port de mer. Vous et moi, nous avons déjà conversé sur ce sujet, et je crains que nous ne soyons jamais d’accord. Mais si vous voulez savoir quelle différence il y a entre un véritable soldat et un homme