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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/153

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coup, regarda son compagnon en face avec une expression comique de surprise sérieuse, et s’écria : — Dites-moi franchement, Davy Muir, supposez-vous qu’une jeune fille comme Mabel Dunham puisse concevoir un penchant sérieux pour un homme ayant votre âge, votre extérieur, et je puis ajouter votre expérience ?

— Allez, allez, Lundie, vous ne connaissez pas le sexe, et voilà pourquoi vous n’êtes pas encore marié dans votre quarante cinquième année. Il y a long-temps que vous êtes garçon, major.

— Et quel peut être votre âge, lieutenant Muir, si je puis me permettre une question si délicate ?

— Quarante-sept ans, je n’ai pas envie de le nier, Lundie ; et si j’obtiens Mabel, ce sera juste une femme par deux lustres. Mais je ne croyais pas que le sergent Dunham eût l’esprit assez humble pour songer à donner une jolie fille comme la sienne à un homme tel que Pathfinder.

— Ce n’est pas un songe, Davy : le sergent est aussi sérieux qu’un soldat prêt à passer par les verges.

— Fort bien, fort bien, major, nous sommes d’anciens amis, et nous devons savoir lâcher et recevoir un brocard, quand nous ne sommes pas de service. Il est possible que le digne sergent n’ait pas compris mes demi-mots, sans quoi il n’aurait jamais songé à un tel mariage. Il y a une aussi vaste différence entre l’épouse d’un officier et la femme d’un guide, qu’entre l’antiquité de l’Écosse et celle de l’Amérique. — Je suis aussi d’un sang très-ancien.

— Croyez-en ma parole, Davy, votre antiquité ne vous rendra pas de grands services dans cette affaire ; et quant à votre sang, il n’est pas plus ancien que vos os. Je vous ai fait part de la réponse du sergent, et vous voyez que mon influence, sur laquelle vous comptiez tellement, ne peut rien faire pour vous. Buvons un coup à notre ancienne connaissance, Davy ; et ensuite vous ferez bien de songer au détachement qui part demain, et d’oublier Mabel Dunham aussitôt qu’il vous sera possible.

— Ah, major ! j’ai toujours trouvé plus facile d’oublier une femme qu’une maîtresse. Quand un couple est une fois marié, tout est fini, peut-on dire, jusqu’à ce que la mort vienne opérer une séparation ; et il me semble peu respectueux de troubler le repos des morts en songeant trop à eux. Au contraire, il y a tant d’inquiétudes, tant d’espérances, tant de félicité à venir, avec une maîtresse, que l’esprit en est toujours occupé.