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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/335

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Maintenant que Mabel était alarmée, Rosée-de-juin elle-même n’aurait pas analysé avec plus de promptitude les faits qui lui semblaient mettre en danger la sûreté de ses compatriotes. Elle vit sur-le-champ que ce morceau de toile pouvait être vu d’une île voisine, que sa position entre sa hutte et le canot ne laissait nul doute que l’Indienne n’eût passé auprès, sinon positivement en dessous, et qu’il pouvait être un signal destiné à faire connaître quelque fait important se rattachant au mode de l’attaque à ceux qui étaient probablement placés en embuscade pas loin d’eux. Après avoir arraché cette bande de toile de l’arbre, Mabel continua à marcher, sachant à peine ce que son devoir exigeait d’elle. La femme d’Arrowhead pouvait la tromper ; mais ses regards, son affection et le caractère qu’elle avait montré durant le voyage s’opposaient à cette supposition ; puis venait le souvenir de l’allusion au penchant d’Arrowhead pour les beautés à face pâle, une faible réminiscence des regards du Tuscarora, et la pénible conviction que peu de femmes peuvent voir avec bienveillance celle qui leur a enlevé le cœur de leur mari. Aucune de ces images ne se présentait d’une manière distincte ; elles tourbillonnaient pour ainsi dire autour de notre héroïne, et accéléraient le mouvement de ses artères aussi bien que celui de ses pas sans lui suggérer cette claire et prompte décision qui d’ordinaire suivait ses réflexions. Elle se hâtait d’atteindre la hutte occupée par la femme du soldat, dans l’intention d’aller sur-le-champ au fort avec elle, puisqu’elle ne pouvait engager nul autre à l’y suivre, lorsque sa marche précipitée fut interrompue par la voix de Muir.

— Où allez-vous si vite, charmante Mabel ? — s’écria-t-il, et pourquoi cherchez-vous ainsi la solitude ? Le digne sergent aura mauvaise opinion de moi s’il apprend que sa fille passe ses matinées seule, tandis qu’il sait bien que mon désir le plus ardent est d’être son esclave et de la suivre depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre.

— Sûrement, monsieur Muir, vous devez avoir quelque autorité ici, — dit Mabel en s’arrêtant tout-à-coup, — votre rang vous donne le droit d’être écouté du moins par un caporal.

— Je ne le sais pas, je n’en sais trop rien, — interrompit Muir avec une impatience et une espèce d’anxiété que Mabel aurait remarquée dans un autre moment. — Commander c’est commander, la discipline c’est la discipline, l’autorité c’est l’autorité.