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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/359

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état actuel n’avaient plus la moindre crainte des fusils qui pouvaient se trouver dans le fort, quoiqu’ils conservassent un vague souvenir qu’il renfermait des créatures vivantes, ce qui ne faisait que les exciter à leur entreprise ; ils s’approchèrent donc de l’édifice, hurlant et sautant en vrais démons. Comme ils étaient plus animés qu’accablés par la boisson, ils commencèrent par attaquer la porte, contre laquelle ils s’élancèrent tous ensemble. Mais, entièrement construite de troncs d’arbres, elle défia leurs efforts. Une centaine d’hommes eussent en vain réuni leurs forces pour réussir dans le même projet. Mabel l’ignorait pourtant, et son cœur battait à briser sa poitrine au choc violent qui suivait chaque tentative. Lorsqu’elle vit enfin que la porte résistait à ces assauts, aussi bien que si elle eût été de pierre, ne tremblant ni ne cédant et ne trahissant son existence que par un léger grondement de ses gonds, son courage revint et elle profita du premier intervalle pour regarder à travers la meurtrière, afin d’apprécier, s’il était possible, l’étendue du péril. Un silence qu’il n’était pas facile d’expliquer stimulait sa curiosité ; rien n’étant plus effrayant pour ceux qui sentent la présence d’un danger imminent, que de ne pouvoir en calculer les progrès.

Mabel s’aperçut que deux ou trois Iroquois ayant remué les cendres chaudes avaient trouvé quelques petits charbons avec lesquels ils s’efforçaient d’allumer du feu ; l’intérêt que leur inspirait l’espoir de détruire, et la force de l’habitude, les rendirent capables d’agir de concert et avec intelligence tant qu’ils eurent en vue leur but détestable. Un blanc aurait renoncé mille fois à la tentative de faire du feu avec des charbons qui ressemblaient à des étincelles, mais ces enfants de la forêt ont plus d’un expédient que la civilisation ne connaît pas. Grâce à quelques feuilles sèches qu’eux seuls savaient où trouver, la flamme parut enfin, et une poignée de broussailles sèches acheva de faire réussir leurs efforts. Lorsque Mabel s’approcha de la meurtrière, les Indiens portaient du menu bois contre la porte ; tandis qu’elle les considérait, elle vit les combustibles s’enflammer, et le feu gagner de branche en branche jusqu’à ce que le tout offrit l’aspect d’un bûcher embrasé.

Les Indiens poussèrent alors des rugissements de triomphe et retournèrent vers leurs compagnons, bien certains que l’œuvre de destruction était commencée. Mabel restait à la même place,