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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/368

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qu’on avait fait des cadavres. — Pas faire de mal aux soldats maintenant, faire du bien aux Iroquois, prendre la chevelure d’abord, faire ensuite travailler cadavres, bientôt brûler eux.

Ces paroles prouvèrent à Mabel combien elle était séparée de sa compagne par ses sentiments, et elle fut quelques minutes sans pouvoir lui parler ; mais cette aversion momentanée fut perdue pour l’Indienne, qui préparait leur simple déjeûner avec son activité habituelle, et prouvait, par ses manières, combien elle était insensible à des sentiments qu’elle ne pouvait comprendre. Mabel mangea peu, mais sa compagne mangea avec son appétit ordinaire. Elles eurent ensuite le loisir de se livrer à leurs pensées. Notre héroïne, bien que dévorée par le désir de porter continuellement ses regards à une des meurtrières, s’en retirait aussitôt avec dégoût, et y retournait encore au moindre bruit des feuilles et du vent, poussée par ses craintes et son anxiété. C’était en vérité une scène bien solennelle que ce lieu désert peuplé de morts, sous le simulacre de vivants, paraissant employés aux occupations joyeuses ou futiles de la vie. Notre héroïne se croyait le jouet d’un songe et pensait assister à une orgie de démons.

Pendant cette longue journée, on ne vit pas un Indien ou un Français, et la nuit se répandit sur cette effrayante et silencieuse mascarade, avec le calme et l’ordre inaltérable avec lequel la terre obéit à ses lois, indifférente aux mesquins acteurs et aux scènes mesquines qu’ils jouent, en s’égarant journellement sur son sein. La nuit fut encore plus calme que celle qui l’avait précédée, et Mabel dormit avec plus de confiance, car elle était convaincue que son sort ne serait pas décidé avant le retour de son père. Elle l’attendait le jour suivant, et lorsqu’elle s’éveilla elle courut avec anxiété aux meurtrières pour s’assurer de l’état du temps et de l’aspect des nuages aussi bien que de la tranquillité de l’île. Le groupe effrayant était toujours étendu sur l’herbe ; le pêcheur tenait toujours sa ligne, attentif, en apparence, à son paisible plaisir, et le cadavre de Jenny s’avançait toujours hors de la hutte avec d’horribles contorsions. Mais le temps avait changé ; le vent soufflait du sud ; et quoique l’air fût encore pur, il était chargé de tous les éléments d’une tempête.

— Je ne puis plus supporter cette scène, — dit Mabel en quittant la croisée, — j’aimerais mieux voir l’ennemi lui-même, que de regarder davantage cette horrible armée de morts.