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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/99

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revenu d’un voyage sans faire la même remarque. Or, à mon dernier retour, je trouvai à peine à New-York un seul homme qui eût en général la même idée que moi des choses. Chacun de ceux que je rencontrais semblait avoir halé toutes ses idées dans le point du vent, et quand il en déviait tant soit peu, c’était ordinairement pour virer de bord le plus court possible, vent arrière, et tenir le plus près du vent sur l’autre bord.

— Comprenez-vous cela, Jasper ? — demanda à demi-voix Mabel en souriant au jeune homme, qui maintenait sa pirogue si près de l’autre, qu’il était presque à côté d’elle.

— Il n’y a pas assez de différence entre l’eau douce et l’eau salée, pour que nous, qui y passons notre vie, nous ne puissions nous entendre. Ce n’est pas un grand mérite, Mabel, de comprendre le langage de sa profession.

— La religion même, — continua Cap, — n’est pas amarrée précisément au même endroit qu’elle l’était dans ma jeunesse. On la traite à terre comme toute autre chose ; on la hale en dessus par secousses, comme un cordage, et il n’est pas surprenant que ce cordage se trouve parfois engagé. Tout semble changer, excepté la boussole, et elle a elle-même ses variations.

— Eh bien ! — dit Pathfinder, — je croyais la religion et la boussole stationnaires.

— Elles le sont en mer, sauf les variations. La religion en mer est exactement aujourd’hui la même chose que lorsque j’ai touché du goudron pour la première fois. Quiconque à la crainte de Dieu devant les yeux, ne peut le contester. Je ne puis voir aucune différence entre l’état de la religion à bord d’un bâtiment à présent, et dans le temps où je suis entré dans la marine ; mais il n’en est pas de même à terre, il s’en faut de beaucoup. Comptez sur ma parole, maître Pathfinder, il est difficile de trouver un homme, — j’entends un homme de terre, — qui envisage ces choses comme il les envisageait il y a quarante ans.

— Et cependant Dieu n’a pas changé, ses œuvres n’ont pas changé, sa sainte parole n’a pas changé ; tous ceux qui doivent bénir et honorer son nom n’auraient pas dû changer davantage.

— C’est ce qui n’est point arrivé à terre, et c’est ce qu’on peut en dire de pire. Je vous dis que tout est en mouvement sur la terre, quoiqu’elle ait l’air si solide. Si vous plantez un arbre et que vous le laissiez pour faire un voyage de trois ans, vous ne le reconnaissez plus à votre retour. Les villes s’agrandissent, de