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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/114

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— C’est un bon chrétien, saint prélat, répondit Isabelle avec douceur ; il paraît ne songer qu’au service et à la gloire de Dieu, et ne vouloir que travailler à l’accroissement de son Église visible et catholique.

— C’est la vérité, Señora ; mais il peut y avoir en cela quelque artifice.

— Je ne crois pas que le défaut du señor Colon soit d’être artificieux, car on ne rencontre pas souvent un langage plus franc, un maintien plus noble, même parmi les hommes les plus puissants. Il nous sollicite depuis bien des années, et pourtant on ne saurait l’accuser avec justice d’aucun acte de bassesse.

— Je ne veux pas juger avec trop de sévérités le cœur de cet homme, doña Isabelle ; mais il nous est permis de juger librement ses actes et ses prétentions, et de reconnaître jusqu’à quel point elles peuvent s’accorder avec la dignité de vos deux couronnes. J’avoue qu’il a l’air grave, que ses discours sont plausibles, qu’on ne remarque point de légèreté dans sa conversation ni dans ses manières, et c’est une vertu, d’après ce que nous voyons dans les cours… — Isabelle sourit, mais ne répondit rien, car son guide spirituel avait coutume de blâmer avec liberté, et elle de l’écouter avec humilité… — dans les cours, où ce monde ne montre point ses plus purs modèles de désintéressement et de dévotion ; cependant cette vertu même peut se montrer au dehors sans exister au fond de notre âme et nous rendre digues du ciel. Qu’est-ce qu’un air de décorum et de gravité, s’il a pour principe un orgueil excessif et une cupidité désordonnée ? car l’ambition est un terme trop relevé pour peindre des désirs si démesurés. Réfléchissez bien à la nature des demandes de ce Colon, Señora. Il exige que vous lui accordiez à perpétuité le rang élevé de vice-roi, non seulement pour lui-même, mais pour tous ses descendants, avec le titre et l’autorité d’amiral sur toutes les mers voisines de ces terres dont il parle tant, s’il en découvre quelqu’une ; et cela, même avant de consentir à accepter le commandement de certains navires de Vos Altesses, grade qui ne serait déjà que trop honorable pour un homme de si peu d’importance. Si ses espérances les plus extravagantes se réalisaient, — et toutes les probabilités sont qu’il n’en sera rien, — la récompense qu’il exige serait fort au-dessus de ses services ; au lieu que, s’il vient à échouer, la Castille et l’Aragon seront couverts de ridicule, et l’on reprochera à Vos Altesses de s’être laissées duper par un aven-