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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/119

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sages et moins prévenus ! Le passé ne peut nous causer, à nous, que honte et chagrin ; mais pour vous, l’avenir est encore un secret du destin.

Tous prirent alors congé de Colomb, à l’exception de Luis de Bobadilla. Dès que les autres furent partis, le Génois monta sur son mulet, don Luis l’accompagna sur son coursier, et ils traversèrent ainsi les rues de la ville, remplies d’un grand concours de peuple. Ils ne prononcèrent pas un seul mot avant d’être arrivés dans la plaine, quoique Colomb soupirât souvent, en homme accablé de chagrin. Cependant le calme régnait sur son front, son attitude était pleine de dignité, et ses yeux brillaient de ce feu inextinguible qui trouve son aliment dans l’âme.

Lorsqu’ils eurent dépassé les portes, Colomb se tourna vers don Luis, et le remercia de sa compagnie ; mais avec une attention qui faisait honneur à son cœur, il ajouta :

— Quoique je sois reconnaissant de l’honneur que me fait un jeune homme de si haute naissance et ayant de si grandes espérances, je ne dois pas oublier ce qui vous est dû à vous-même. Avez-vous remarqué, pendant que nous traversions les rues, certains Espagnols qui me montraient au doigt avec un air de mépris ?

— Oui, Señor, répondit Luis tandis qu’un sentiment d’indignation se peignait sur ses joues ; et si je n’eusse craint votre mécontentement, je leur aurais fait passer mon cheval sur le corps, faute de lance pour les embrocher.

— Vous avez agi très-sagement en montrant de la patience. Mais ce sont des hommes, et leurs opinions individuelles forment l’opinion publique. Je ne remarque même pas que la naissance ou les circonstances établissent entre eux des distinctions bien marquées, quoiqu’ils puissent varier dans l’expression. Il se trouve des esprits vulgaires parmi les nobles, et des esprits nobles dans les rangs les plus infimes. La preuve d’estime que vous me donnez en ce moment sera pour bien des gens un sujet de mépris et de dérision, à la cour des deux souverains.

— Qu’il prenne garde à lui, Señor, celui qui se hasardera à parler de vous avec légèreté en présence de Luis de Bobadilla ! Nous ne sommes pas une race qui se distingue par la patience, et les Castillans ont ordinairement le sang chaud.

— Je serais fâché qu’un autre que moi tirât l’épée pour me défendre. Mais si nous nous regardions comme offensés par tous