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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/121

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ment décidé la question ne pensent de la même manière.

— Je vous demande pardon, Señor, si j’ai dit quelque chose qui a pu vous rappeler un souvenir pénible ; mais si j’ai naguère été injuste à votre égard, je suis prêt aujourd’hui à vous faire réparation, comme vous le verrez tout à l’heure. — Quand j’ai cherché à faire votre connaissance et commencé à écouter vos discours, c’était dans le dessein de m’amuser des idées extravagantes d’un fou. Je n’ai pas changé d’opinion sur-le-champ au point d’admettre la justesse de votre théorie ; mais j’ai bientôt reconnu qu’un grand philosophe, un homme doué d’un jugement profond, avait réfléchi sur cette affaire. J’aurais pu en rester là sans une circonstance d’un grand intérêt pour moi. Il faut que vous sachiez, Señor, que, quoique issu du sang le plus ancien de l’Espagne et ayant d’assez belles possessions, je puis n’avoir pas toujours répondu à l’espoir qu’avaient conçu de moi ceux qui étaient chargés du soin de ma jeunesse, et…

— Ces détails ne sont pas nécessaires, noble Señor.

— Pardonnez-moi. De par saint Luc ! il faut que je vous dise tout. — Or, j’ai deux grandes passions, — deux passions dans lesquelles toutes mes idées se concentrent. — L’une est un désir effréné de courir le monde, de voir les pays étrangers, et les voir libre du joug de toute étiquette, et enfin de voyager sur la mer et de visiter les ports qui l’entourent. — L’autre est mon amour pour Mercédès de Valverde, la plus belle, la plus douce, la plus aimable de toutes les filles de la Castille.

— Et de plus très-noble, dit Colomb en souriant.

— Señor, répondit Luis d’un ton grave, je ne plaisante pas quand je parle de mon ange gardien. Non seulement elle est noble et faite à tous égards pour honorer ma maison, mais encore le sang des Guzmans coule dans ses veines. Mais j’ai perdu les bonnes grâces de beaucoup de gens, sinon celles de mon aimable maîtresse, en cédant à mon penchant pour voir le monde. Ma propre tante même, qui est sa tutrice, ne me voit pas de très-bon œil faire la cour à sa pupille. Doña Isabelle, dont le moindre mot est une loi pour les nobles vierges de sa cour, a aussi ses préjugés ; et il m’est devenu nécessaire de regagner sa bonne opinion pour obtenir la main de doña Mercédès. J’ai donc pensé (Luis, pour rien au monde, n’aurait voulu trahir sa maîtresse en avouant que c’était elle qui lui avait suggéré cette pensée), j’ai donc pensé que, si mon goût pour les aventures se montrait dans quel-