Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Quintanilla continuèrent seuls la discussion, pendant qu’Isabelle s’entretenait avec le roi, personne n’ayant la présomption de prendre part à leur entretien particulier. La reine semblait parler avec force, et montrait évidemment de l’agitation, mais Ferdinand conservait la froideur et la circonspection qui lui étaient ordinaires, quoique toutes ses manières annonçassent le profond respect qu’Isabelle lui avait inspiré de bonne heure, et qu’elle réussit à conserver jusqu’à sa mort. C’était là un tableau familier aux courtisans ; le roi étant aussi remarquable par sa prudence astucieuse que la reine par son ardeur généreuse et sincère, toutes les fois qu’un motif louable l’inspirait. Cette double conversation dura une demi-heure, Isabelle s’interrompant de temps en temps pour écouter ce qui se disait dans l’autre groupe, et reprenant ensuite le fil de ses arguments avec Ferdinand.

Enfin la reine quitta son époux, qui prit un papier et se mit froidement à le lire ; elle s’avança lentement vers le groupe d’interlocuteurs, qui exprimaient alors unanimement leurs regrets à voix haute, même en ayant égard à l’indulgence d’Isabelle. L’intention qu’elle avait de réprimer cette ardeur par sa présence fut pourtant momentanément détournée par un coup d’œil qu’elle jeta sur Mercédès, qui était assise, séparée des autres, son ouvrage restant oublié sur ses genoux, tandis qu’elle écoutait avec attention les discours qui avaient engagé toutes ses compagnies à former un cercle autour des trois principaux personnages de ce groupe.

— Vous ne prenez aucune part à cette chaude discussion, mon enfant ? dit la reine s’arrêtant un instant devant la chaise de notre héroïne et fixant les yeux sur sa physionomie éloquemment expressive ; ne prenez-vous donc plus aucun intérêt à Colon ?

— Je garde le silence, Señora, parce que la modestie convient à la jeunesse et à l’ignorance, mais je n’en sens pas moins vivement.

— Et quels sont vos sentiments, ma fille ? Pensez-vous aussi qu’on ne peut payer trop cher les services du Génois ?

— Puisque votre Altesse me fait l’honneur de m’interroger, répondit l’aimable fille, le sang dissipant peu à peu la pâleur de ses joues, à mesure qu’elle s’animait en parlant, je n’hésiterai point à lui répondre. Je crois que le ciel a voulu offrir cette grande entrepris eaux souverains de Castille et d’Aragon, en récompense de tout ce qu’ils ont fait et enduré pour la religion