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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/153

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Don Luis prononça ces mots d’un ton grave ; la sincérité éclatait sur son visage, et il était impossible de ne pas voir qu’il pensait ce qu’il disait. Si les hommes réfléchissaient sur les suites qu’ont souvent leurs moindres paroles, ils mettraient moins de légèreté dans leurs discours, et la race des rapporteurs, depuis la classe la plus basse jusqu’au rang le plus élevé, finirait par s’éteindre, faute d’occupation. Peu de gens s’inquiétaient moins des conséquences de ce qu’ils disaient et y songeaient moins souvent que Luis de Bobadilla ; et pourtant cette réponse faite à la hâte, mais sincère, produisit un effet favorable pour lui, sur l’esprit de plus d’une des personnes qui exerçaient une influence directe sur son sort. Les éloges donnés à la reine avec tant de franchise, allèrent au cœur de la marquise de Moya, qui idolâtrait sa maîtresse plutôt qu’elle ne l’aimait, car la longue et étroite intimité qui existait entre elles lui avait fait connaître parfaitement le caractère pur et presque saint d’Isabelle. Quand elle répéta à la reine les paroles de don Luis, sa réputation bien établie de véracité lui valut une croyance implicite. Quelque droites que puissent être nos vues en général, une des voies les plus sûres pour arriver au cœur d’un autre, c’est de lui donner assurance qu’il est estimé et respecté, tandis que celui de tous les commandements divins auquel il est le plus difficile d’obéir, est celui qui nous ordonne d’aimer ceux qui nous haïssent. Isabelle, malgré ses hautes destinées et ses grandes qualités, était essentiellement femme, et quand elle apprit qu’en dépit de la froideur qu’elle avait quelquefois montrée à ce jeune homme, il avait pour elle une si profonde déférence et appréciait les sentiments dont elle était animée et les motifs qui la faisaient agir, d’une manière que sa conscience lui disait qu’elle méritait, elle fut plus disposée à regarder avec indulgence les défauts qui lui étaient particuliers, et à attribuer à la vivacité de son âge ce qui, vu sous un jour moins favorable, aurait pu passer pour un penchant ignoble.

Mais n’anticipons pas sur les événements.

Le premier résultat du discours de Luis fut qu’une expression plus douce se peignit sur la physionomie de sa tante, et qu’elle se trouva disposée à écouter avec plus d’indulgence ses sollicitations pour avoir un entretien particulier avec doña Mercédès.

— Je puis avoir été injuste envers vous sur ce point, Luis ; dit doña Béatrix, ses manières laissant apercevoir le changement qui