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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/192

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grande affaire. Elle est mon étoile polaire, mon grand but et mon Cathay. Marchez, au nom du ciel ! découvrez telle contrée qu’il vous plaira, que ce sont les Indes ou Cipango ; tirez par sa barbe le Grand-Khan sur son trône ; je vous suivrai avec ma faible lance, je proclamerai que Mercédès n’a point d’égale, et je ravagerai tout l’Orient, uniquement pour prouver à la face de l’univers qu’aucune rivale ne pourrait lui être comparée, en quelque pays que ce soit.

Quoique Colomb parût se dérider un peu en entendant cette rapsodie amoureuse, il n’en crut pas moins devoir blâmer l’esprit qui l’avait inspirée.

— Je suis fâché, mon jeune ami, dit-il, de voir que vous n’ayez pas les sentiments qui conviennent à quiconque est occupé d’une œuvre qu’on pourrait dire ordonnée par le ciel même. Ne pouvez-vous prévoir la longue suite de grands et merveilleux événements qui seront probablement la suite de ce voyage ? — la propagation de la religion avec l’autorité de la sainte Église, la découverte d’empires éloignés et leur assujettissement à la Castille ; — la solution de problèmes contestés dans la science et la philosophie ; — la possession de richesses inépuisables ; — enfin, et ce qui en sera la conséquence la plus honorable, la conquête, sur les infidèles, du sépulcre du Fils de Dieu !

— Sans doute, señor Colomb, sans doute ; je vois tout cela, mais je vois aussi un autre but, et ce but est doña Mercédès. — Qu’ai-je besoin d’or ! J’en possède déjà ou j’en posséderai bientôt plus qu’il ne m’en faut. — Que m’importe l’agrandissement du pouvoir de la Castille ? je ne puis en être roi. — Et quant au Saint-Sépulcre, donnez-moi seulement Mercédès, et je suis prêt à rompre une lance, comme l’ont fait mes ancêtres, avec l’infidèle le plus intrépide qui ait jamais porté un turban, soit dans cette querelle, soit dans toute autre. En un mot, señor amiral, marchez en avant, et quoique nous soyons animés par un espoir et par des motifs différents, ne doutez pas qu’ils ne nous conduisent au même but. Je sens que vous devez être appuyé dans votre grand et noble dessein, et peu importe ce qui m’a placé et votre suite.

— Vous êtes un jeune écervelé, Luis ; mais il faut se prêter à votre humeur, quand ce ne serait que par égard pour la bonne et pieuse jeune fille qui semble s’être rendue maîtresse de toutes vos pensées.