Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plein de feu, se plaça par hasard si près de Diego pendant cette petite cérémonie, que celui-ci, qui était naturellement un peu bavard, ne put résister à l’envie de lui adresser la parole.

— Dis-moi, je te prie, Pépé, dit le soldat, combien de centaines de doublons te paie-t-on par an pour tes gages, et combien de fois renouvelle-t-on ce beau pourpoint de peau ?

Le serviteur du commerçant, qui était encore jeune, quoique ses membres vigoureux et ses joues brunes annonçassent qu’il avait fait du service et bravé l’intempérie des saisons, tressaillit et rougit à cette question inattendue, à laquelle prêta une nouvelle force une main qui lui frappa familièrement la cuisse et lui pinça ensuite la jambe avec l’air de licence que donnent les camps. La physionomie riante de Diego arrêta sans doute une explosion soudaine de colère, car c’était un homme en qui tout indiquait trop de bonne humeur pour qu’il pût aisément exciter le ressentiment.

— Tes intentions sont amicales, camarade, mais ta main pince un peu trop fort, dit le jeune domestique avec douceur, et si tu veux suivre le conseil d’un ami, tu ne te permettras jamais trop de familiarité, de peur de te faire quelque jour briser le crâne.

— Par le bienheureux san Pédro ! je voudrais bien voir…

Il n’eut pas le temps d’en dire davantage, car le jeune domestique, voyant que son maître était parti, donna un coup d’éperon dans le flanc de son mulet, et le vigoureux animal, prenant le galop, renversa presque Diego, qui par ce mouvement se trouva froissé contre le pommeau de la selle.

— Ce jeune homme a de l’ardeur, dit le bon Diego en se rassurant sur ses jambes ; — J’ai cru un moment qu’il allait me faire faire connaissance avec son poing.

— Tu as eu tort, Diego, et tu es trop accoutumé à agir sans réflexion. Je n’aurais pas été surpris que ce jeune homme t’assommât pour te punir de l’insulte que tu lui as faite.

— Bah ! bah ! un domestique aux gages de quelque misérable juif oser lever la main sur un soldat du roi !

— Il peut avoir été lui-même un soldat du roi. Nous sommes dans un temps où ceux qui ont des muscles aussi vigoureux que les siens sont appelés de bonne heure à porter le harnais militaire. Il me semble que je l’ai déjà vu, et cela dans un endroit où un lâche ne se serait pas trouvé.