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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/210

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Enfin, descendant dans la chambre, il y trouva Colomb déjà profondément endormi.

Le lendemain était un vendredi ; et il est remarquable que le plus grand et le plus heureux voyage qui ait jamais été entrepris sur ce globe ait commencé le jour de la semaine que depuis longtemps les marins sont dans l’usage de considérer comme si malencontreux pour les entreprises, qu’ils ont souvent différé de mettre à la voile pour éviter les suites terribles, quoique inconnues, que pourrait avoir leur hardiesse. Luis fut un des premiers qui arrivèrent sur le pont ; en levant les yeux, il vit que l’amiral était déjà debout et sur la dunette, ou château-d’arrière, dont les étroites limites étaient alors réservées pour les privilégiés, comme l’est encore de nos jours la promenade plus étendue du gaillard d’arrière. C’était là que celui qui dirigeait les mouvements d’une escadre se plaçait pour en suivre les évolutions, faire ses signaux et ses observations astronomiques, et se délasser en respirant l’air frais. Cet espace, à bord de la Santa-Maria, pouvait avoir environ quinze pieds dans un sens, et un peu moins dans l’autre. Au total c’était un poste commode pour une vigie, mais plutôt par sa position et son isolement que par ses dimensions.

Dès que l’amiral, — ou don Christoval, comme l’appelaient les Espagnols depuis qu’il avait été élevé à un grade qui lui donnait les droits et prérogatives de la noblesse, — des que l’amiral eut aperçu Luis, il lui fit signe de venir le joindre. Quoique les bâtiments qu’il commandait n’eussent que des équipages peu nombreux et qu’ils n’égalassent pas la force d’une seule corvette de nos jours, l’autorité de la reine, l’air de dignité grave de Colomb, et surtout le but extraordinaire et mystérieux de son voyage, donnaient à cette expédition un caractère imposant qui était hors de proportion avec ses ressources apparentes. Accoutumé à maîtriser les passions d’hommes turbulents, et sachant combien il lui importait d’inspirer aux hommes placés sous ses ordres du respect pour son rang et pour son influence à la cour, il s’était abstenu de tout contact familier avec eux, et le plus communément il leur faisait donner ses ordres par les Pinzons et par ses autres officiers, afin de leur imposer plus facilement quand les circonstances l’exigeraient, comme il le prévoyait. Sa longue expérience n’était pas nécessaire pour lui apprendre que des hommes rassemblés dans un si petit espace ne peuvent être maintenus chacun à la place qui lui convient dans sa profession que