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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/23

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La mémoire des hommes comme lui a toujours plus de besogne qu’elle n’en peut faire.

— Veuille la bienheureuse Marie que tu sois un vrai prophète, sans quoi je n’oserais jamais me remontrer dans les rangs ! Si c’était un service que je lui avais rendu, je pourrais espérer qu’il l’oublierait, mais le souvenir d’un affront dure plus longtemps.

Alors les deux soldats se mirent à se promener, continuant à s’entretenir de temps en temps, quoique le vétéran avertît fréquemment son jeune compagnon, qui aimait un peu trop à parler que la discrétion était une vertu.

Pendant ce temps, les voyageurs continuaient leur route avec une rapidité qui prouvait que le grand chemin ne leur inspirait pas beaucoup de confiance et qu’ils avaient un grand désir d’avancer. Ils voyagèrent toute la nuit, et ne ralentirent leur marche que lorsque le lever du soleil les exposa de nouveau aux observations des curieux, parmi lesquels il pouvait se trouver des émissaires de Henri, roi de Castille, dont on n’ignorait pas que les agents étaient particulièrement aux aguets sur toutes les routes qui communiquaient de la capitale du royaume à Valladolid, ville où sa sœur Isabelle s’était tout récemment réfugiée. Il ne leur arriva pourtant rien de remarquable qui pût distinguer ce voyage de tous ceux qu’on faisait alors dans ce pays. Ils entrèrent bientôt sur le territoire de Soria, province de la Vieille-Castille, où des détachements de troupes de Henri surveillaient exactement tous les défilés ; mais il n’y avait rien dans l’extérieur des voyageurs qui pût attirer l’attention des soldats du roi. Quant aux voleurs ordinaires, ils avaient été temporairement écartés des grandes routes par la présence de ceux qui agissaient au nom du monarque.

Le jeune homme qui avait donné lieu à la conversation entre les soldats marcha constamment à la suite de son maître, tant qu’il plut à celui-ci de rester en selle ; et pendant le petit nombre de courtes pauses qui eurent lieu dans le cours du voyage, il s’occupa, comme les autres domestiques, des fonctions et des devoirs de son état. Néanmoins, dans la soirée du second jour, environ une heure après que la cavalcade eut quitté une hôtellerie où elle s’était régalée d’une olla podrida et de vin aigre, le jeune homme jovial dont nous avons parlé un instant, et qui était encore, à côté de son compagnon plus grave et plus âgé, à