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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/249

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vigation ; sa noble tête semblait repousser la science comme un genre de talent qui ne s’accordait ni avec ses besoins ni avec ses goûts. Il ne manquait pourtant pas d’intelligence, et parmi les seigneurs de son âge aucun ne se faisait plus d’honneur dans les cercles de la cour par le genre de connaissances qui, à cette époque, étaient l’objet des études parmi les hommes du monde. Heureusement il avait la plus parfaite confiance dans les talents de l’amiral ; et comme il était presque étranger à toute crainte personnelle, Colomb n’avait pas, parmi tous ses compagnons, un seul homme qui lui fût plus aveuglément dévoué.

Avec son intelligence, sa raison, et toute sa philosophie si vantée, l’homme est la dupe de son imagination et de son ignorance, aussi bien que des intrigues et de l’astuce des autres. Même quand il croit avoir le plus de vigilance et de circonspection, il se laisse aussi fréquemment égarer par les apparences que guider par les faits et par son jugement ; aussi la moitié de ceux qui contemplaient Colomb livré à ses importants calculs attribuèrent-ils peut-être aux inductions tirées de leur propre science le renouvellement de leur confiance en lui, tandis qu’ils n’en étaient redevables qu’à l’impression que ce spectacle faisait sur leurs sens sans éclairer en rien leur intelligence.

Ainsi se passa la journée du 7 septembre. La nuit trouva encore la petite escadre, ou la flotte, comme on l’appelait dans le langage pompeux de ce temps, immobile au milieu des eaux entre Ténériffe et Gomère. La matinée du lendemain n’amena aucun changement, car un soleil brûlant, dont aucun souffle de vent ne tempérait l’ardeur, dardait ses rayons sur la surface d’une mer qui brillait comme de l’argent fondu. Cependant l’amiral fit monter quelques matelots au haut des mâts ; et quand il eut l’assurance que nul bâtiment portugais n’était en vue, il se sentit fort soulagé, ne doutant pas que ceux qui s’étaient mis à sa poursuite ne fussent arrêtés par le même calme à l’ouest de l’île de Fer.

Après avoir fait sa sieste, Luis monta sur la dunette où Colomb avait passé plusieurs heures à examiner l’horizon et le firmament.

— Par toutes les espérances des marins, don Christophe, dit-il, les démons semblent ligués contre nous. Depuis trois jours que ce calme règne, nous avons devant nous le pic de Ténériffe, semblable à une pierre milliaire que l’on aurait placée pour apprendre aux marsouins et aux dauphins combien ils font de milles à