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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/302

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nous ne savons plus que penser. Pendant plusieurs jours, le vent a soufflé dans la même direction, nous conduisant, à ce qu’il paraissait, à notre perte, et ensuite il nous a abandonnés sur une mer telle qu’aucun marin à bord de la Santa-Maria n’en a jamais vu, — une mer qui a l’air d’une prairie sur le bord d’une rivière, et où il ne manque que des vaches et un vacher pour qu’on la prenne pour un champ que l’eau a couvert en se débordant. C’est une chose effrayante !

— Les prairies sont des herbes de l’Océan, et elles prouvent la richesse de la nature qui les a produites, répondit Colomb ; et les brises de l’est sont ce que tous ceux qui ont fait un voyage en Guinée savent qui existe toujours dans de si basses latitudes. Je ne vois rien dans tout cela qui doive alarmer un brave marin. Quant au fond, vous savez tous qu’on ne l’a pas trouvé avec une ligue de deux cents brasses. — Pépé, tu n’as aucune de ces faiblesses, j’espère ? Tu es bien décidé à voir le Cathay et le Grand-Khan ?

— Señor amirante, je fais à Votre Excellence le même serment que j’ai fait à Monica, qui est de vous être fidèle et soumis. S’il s’agit d’arborer la croix au milieu des infidèles, ma main ne sera pas la dernière à faire sa tâche dans cette sainte œuvre. Cependant, Señor, aucun de nous n’aime ce long calme ; il est contre nature. Nous sommes sur un Océan qui n’a point de vagues et dont la surface est si unie, que nous doutons beaucoup que ses eaux suivent les mêmes lois que celles qui baignent les côtes d’Espagne, car jamais je n’ai vu une mer qui ait tellement l’air d’être morte. N’est-il pas possible, Señor, que Dieu ait fait de cette eau calme et stagnante une ceinture dont il a enveloppé les limites de la terre pour empêcher les imprudents de pénétrer dans ses saints secrets ?

— Ton raisonnement a du moins une teinte de religion, et, quoiqu’il ne soit pas juste, on peut à peine le condamner. Dieu a placé l’homme sur cette terre, Pépé, pour en être le maître et pour le servir en étendant le domaine de son Église, et en faisant le meilleur usage possible des nombreux bienfaits dont il accompagne le présent qu’il nous fait de la vie. Quant aux limites dont tu parles, elles n’existent que dans l’imagination, la terre étant une sphère ou une boule, qui n’a d’autres limites que celles que tu vois partout.

— Et quant à ce que dit Martin sur les vents, les herbes et les