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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/304

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d’eux avec une surprise que la frayeur portait à son comble. À peine le bâtiment plongeait-il lourdement dans le creux d’une lame, qu’une nouvelle lame le relevait sur-le-champ. Les vagues se succédaient aussi en augmentant toujours de hauteur, et toute la mer ne fut bientôt plus qu’une vaste plaine liquide ayant un mouvement d’ondulation. Cependant on distinguait encore des lames à des intervalles éloignés, mais marqués par l’écume dont leur sommet se couvrait en déferlant. Il fallut une demi-heure pour donner toute sa force à ce phénomène, et alors les trois bâtiments plongeaient dans l’eau, comme disent les marins, jusqu’à ce que soulevés par une lame plus-forte, l’eau qu’il savaient embarquée s’écoulât par les dalots.

Regardant cette circonstance comme devant être une source de nouvelle alarme ou un moyen de calmer celle qui régnait déjà, Colomb prit aussitôt ses mesures pour en tirer ce dernier parti. Il fit assembler tout son équipage au bas de la dunette, et lui parla en ces termes :

— Vous le voyez, mes amis, les craintes que vous conceviez relativement à une eau stagnante viennent d’être détruites tout à coup, et, en quelque sorte, par la main de Dieu même, ce qui prouve incontestablement que vous n’avez aucun danger de ce genre à redouter. Je pourrais en imposer à votre ignorance, et prétendre que le mouvement soudain qui vient d’être imprimé à la mer est un miracle que Dieu a permis pour me soutenir contre des alarmes insensées et contre des murmures d’insubordination ; mais ma cause est trop bonne pour que j’aie besoin d’un appui de cette nature, et qui ne vînt pas réellement du ciel. Les calmes, la stagnation de l’eau, et même les herbes marines, dont vous vous plaignez, ont pour cause le voisinage de quelque grande terre ; cette terre, je ne crois pas que ce soit un continent, il doit être plus à l’ouest ; ce sont plus probablement des îles, ou assez grandes ou assez nombreuses pour produire un effet si étendu, et cette agitation subite de la mer n’est probablement due qu’à un vent éloigné qui amène sur l’Océan ces lames gigantesques comme nous en voyons souvent, lames qui font sentir leurs derniers efforts au-delà même des limites du vent qui les a soulevées. Je ne veux pas dire par là qu’un phénomène qui est venu si à propos dissiper vos craintes ne soit pas produit par la main de Dieu, entre les mains de qui je ne suis qu’un instrument ; au contraire, je le crois pleinement, j’en suis reconnaissant envers