CHAPITRE XXI.
os aventuriers avaient déjà passé vingt-trois jours hors de
vue de la terre, et, sauf quelques changements de vent peu importants,
et un jour ou deux de calme, ils avaient constamment
fait route vers l’ouest, avec une variation au sud qui avait
augmenté successivement jusqu’au-delà de 12 degrés, quoique
ce dernier fait leur fût inconnu. Leurs espérances avaient été si
souvent trompées, qu’une sorte d’humeur sombre commençait à
régner parmi les matelots, et elle ne se dissipait que momentanément, c’est-à-dire lorsque des nuages produisant une illusion
passagère faisaient pousser de nouveau le cri : — Terre ! terre !
— Cependant ils étaient dans cet état de fermentation qui admet
tout changement subit ; et comme la mer continuait à être aussi
tranquille qu’une rivière, l’air balsamique et le temps superbe,
ils ne se laissaient pas aller au désespoir. Sancho raisonnait à sa
manière avec ses compagnons, et, suivant sa coutume, opposait
à l’ignorance et à la folie un ton dogmatique et une effronterie
imperturbable ; tandis que, de son côté, Luis exerçait une heureuse
influence sur l’esprit des officiers par sa confiance et sa
gaieté. Colomb conservait son air de dignité calme et réservée,
comptant sur l’exactitude de ses théories, et persistant dans la
ferme résolution d’arriver à son but. Le vent continuait à être
favorable, et pendant le jour et la nuit du 2 octobre, ses bâtiments
avancèrent de plus de cent milles sur cette mer inconnues et
mystérieuse. Les herbes marines dérivaient alors à l’ouest, ce qui
était un grand changement, les courants jusqu’alors les ayant
portés dans une direction opposée. La journée du 3 fut plus favorable
encore, la distance qu’on parcourut étant de quarante-sept
lieue. L’amiral commença alors à croire qu’il était au-delà des
îles marquées sur sa carte ; mais, avec la ferme résolution d’un