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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/326

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1492. Le vent avait fraîchi, et les bâtiments avançaient à raison de cinq à neuf nœuds par heure. Les signes du voisinage de la terre étaient devenus si fréquents, qu’à chaque lieue parcourue les matelots croyaient qu’ils allaient la découvrir ; et à bord des trois bâtiments, presque tous les yeux étaient sans cesse tournés vers l’horizon occidental, chacun désirant être le premier à en faire la joyeuse annonce. Le cri — Terre ! terre ! — serait fait entendre si souvent depuis plusieurs jours, que Colomb avait fait proclamer que celui qui le pousserait encore sans motif perdrait ses droits à la récompense, quand même il lui arriverait de la mériter ensuite. Cet avis inspira plus de circonspection, et, pendant les journées des 8, 9 et 10 octobre, pas une bouche n’osa s’ouvrir pour donner des espérances incertaines. Mais comme ils avaient parcouru dans la journée du 10 une distance plus considérable que pendant les deux jours précédents, l’horizon occidental fut surveillé dans la soirée avec une attention qu’on n’avait encore accordée à aucun coucher du soleil. C’était le moment le plus favorable pour cet examen, le grand astre prêt à disparaître illuminant alors toute l’étendue des eaux de ce côté, de manière à en dévoiler aux yeux tous les secrets.

— N’est-ce pas une élévation de terre, qu’on voit là-bas ? demanda Pépé à Sancho à voix basse, tandis qu’ils étaient assis sur une vergue, regardant le haut du disque du soleil, semblable à une étoile brillante, qui allait descendre sous l’horizon ; ou est-ce encore un de ces maudits nuages qui nous ont si souvent trompés ?

— Ce n’est ni l’un ni l’autre, Pépé, répondit Sancho qui avait plus de sang-froid et d’expérience. C’est une lame d’eau qui est agitée à l’horizon. As-tu jamais vu un calme assez profond pour que l’eau restât en cercle à l’horizon ? Non, non, il n’y a pas de terre à voir ce soir au couchant. L’Océan, de ce côté, présente le même aspect que si nous étions sur la rive occidentale de l’île de Fer, regardant la vaste étendue de l’Océan Atlantique. Notre noble amiral peut avoir pour lui la vérité, Pépé ; mais jusqu’à présent, il n’en a d’autres preuves que celles qu’on peut trouver dans ses raisonnements.

— Prends-tu donc aussi parti contre lui, Sancho ? Diras-tu que c’est un fou qui veut conduire les autres à leur perte, et aller lui-même à la sienne, pour le plaisir de mourir amiral de fait, et vice-roi en imagination ?