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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/355

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quoiqu’il fût strictement défendu à leurs sujets d’en avoir plus d’une.

La pirogue remonta la rivière pendant plusieurs milles, et arriva enfin dans une de ces vallées des tropiques où la nature semble déployer toutes ses ressources pour orner d’attraits la terre que nous habitons. Quoique le paysage parût ne rien devoir à l’art, la main de l’homme l’avait dépouillé de cette rudesse sauvage qui caractérise la nature inculte. De même que les habitants, ce beau lieu possédait une grâce naturelle que n’avaient ni altérée ni détruite les expédients souvent malheureux de l’invention humaine. Les habitations n’étaient pas sans beauté, quoiqu’elles fussent aussi simples que les besoins de ces insulaires. Les fleurs étaient épanouies au milieu de l’hiver, et les branches des arbres gémissaient encore sous le poids de fruits aussi nourrissants qu’agréables au goût.

Mattiniao fut accueilli par ses sujets avec un profond respect, auquel se mêlait l’empressement de la curiosité. Ils entourèrent Luis et Sancho en montrant un étonnement à peu près semblable à celui qu’éprouverait un homme civilisé en voyant un des prophètes revenir sur la terre en chair et en os. Quoiqu’ils eussent appris l’arrivée des bâtiments, ils n’en regardaient pas moins nos marins comme des êtres descendus du ciel. Cette opinion n’était probablement pas celle des hommes du rang le plus élevé parmi eux ; car, même dans l’état sauvage, l’esprit du vulgaire reste bien loin en arrière de celui des hommes plus favorisés de la fortune. Soit par suite de son caractère plus familier, soit parce que ses habitudes s’adaptaient plus facilement aux manières de ces simples insulaires, soit enfin que ceux-ci connussent le sentiment des convenances, Sancho devint bientôt le favori de ce qu’on appelle le peuple, qui abandonna le comte de Llera aux soins plus particuliers de Mattinao et des personnages les plus importants. Par suite de cette circonstance, les deux Espagnols se trouvèrent séparés. Sancho fut conduit par la multitude dans une sorte de place au centre du village, et le cacique emmena Luis à sa demeure.

Dès que notre héros se trouva seul avec Mattinao et deux de ses confidents choisis parmi les chefs, les Indiens répétèrent avec vivacité le nom d’Ozéma ; une conversation rapide s’établit, et ou dépêcha un messager, Luis ne savait où. Enfin les deux chefs se retirèrent, laissant le jeune Castillan seul avec le cacique. Met-