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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/368

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cées sur le tertre. Jetant de temps à autre un regard en arrière, comme s’il eût désiré se jeter au milieu de la bagarre, vingt fois Luis regretta de ne pas avoir sous la main son coursier favori et une bonne lance, car ce n’eût été qu’un exploit très-ordinaire pour un preux chevalier tel que lui de mettre en fuite un millier d’ennemis semblables à ceux qu’il s’attendait à rencontrer. Plus d’une fois il avait, à lui seul, enfoncé des rangs entiers de fautassins ; et le temps n’était pas éloigné où l’on devait voir des individus isolés, mais à cheval, chasser devant eux des centaines d’Américains.

L’alarme s’était répandue dans le sérail de Mattinao avant que notre héros y fût arrivé. En entrant dans la demeure d’Ozéma, il la trouva entourée d’une cinquantaine de femmes dont quelques-unes venaient du village, et toutes répétaient avec terreur le nom redouté de Caonabo. Ozéma était celle qui montrait le plus de sang-froid, quoiqu’il fût aisé de reconnaître qu’elle était particulièrement l’objet de la commune sollicitude ; en effet, se pressant autour de la princesse, elles paraissaient la conjurer de prendre la fuite, afin de ne pas tomber entre les mains du chef caraïbe. D’après quelques paroles qu’il put comprendre, Luis s’imagina même, — et il ne se trompait pas, — que toutes ces femmes supposaient que le véritable but de cette attaque subite de Caonabo était de s’emparer de la jolie sœur du cacique. Cette conjecture ne refroidit en rien son empressement pour la défendre. Ozéma l’aperçut, et elle courut à lui, les mains jointes, en prononçant le nom de Caonabo d’un ton qui aurait ému un cœur de pierre, en même temps que ses yeux exprimaient le langage de la prière, de l’espoir et de la confiance.

C’était plus qu’il n’en fallait pour déterminer notre héros à prendre la défense de la belle Indienne. En un instant il eut saisi son sabre de la main droite et armé son bras gauche de son bouclier ; ensuite, pour lui exprimer son zèle aussi clairement que possible, il lui couvrit la poitrine de son bouclier, brandissant son sabre comme pour défier ses ennemis. Dès que Luis eut donné cette sorte de gage de sa protection, toutes les autres femmes disparurent, quelques-unes pour sauver leurs enfants, toutes pour chercher quelque endroit où elles pussent se cacher. Par suite de cet abandon aussi singulier qu’imprévu, il se trouva, pour la première fois, seul avec Ozéma.

Rester dans la maison, c’eût été souffrir que l’ennemi y arrivât