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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/425

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il plaça son couteau et sa fourchette sur son assiette, et dit d’un ton solennel :

— Señores, je regarde la nourriture comme un don que Dieu a fait à l’homme, et il me semble que c’est une irrévérence de tant parler, lorsque les aliments placés sur la table nous invitent à rendre hommage à notre grand pourvoyeur. Je sais que don Christophe pense de même, et tous ceux qui sont sous ses ordres imitent la conduite de leur chef chéri et respecté. Quand je serai prêt à converser, señores hidalgos, je vous répondrai tant qu’il vous plaira, et alors que Dieu prenne en pitié les esprits ignorants et bornés.

D’après cette admonition, il n’y avait plus rien à dire jusqu’à ce que l’appétit de Sancho fût satisfait ; ce dont il donna avis lui-même par les paroles suivantes, après avoir reculé sa chaise à quelques pouces de la table :

— Je n’ai de prétentions qu’à fort peu de savoir, señor Pédro Martir ; mais ce que j’ai vu, je l’ai vu, et ce qu’il sait, un marin le sait aussi bien qu’un docteur de Salamanque. Faites-moi donc vos questions, au nom du ciel, et je vous répondrai aussi bien que peut le faire un homme pauvre, mais honnête.

Le savant Pierre Martir était très-disposé à profiter de cette bonne volonté, car, en ce moment, on attachait beaucoup d’importance à se procurer des informations de première main, comme on disait. Il commença donc son interrogatoire d’une manière aussi simple et aussi directe qu’il y avait été invité :

— Eh bien ! Señor, nous désirons obtenir des connaissances par tous les moyens possibles. Dites-nous donc d’abord, s’il vous plaît, laquelle de toutes les merveilles que vous avez vues pendant votre voyage, a fait le plus d’impression sur votre esprit, et vous a frappé comme la plus digne de remarque ?

— Je n’ai rien vu qui puisse se comparer aux frasques de l’étoile polaire, répondit Sancho sans hésiter. Nous autres marins, nous avons toujours regardé cette étoile comme aussi immobile que la cathédrale de Séville ; mais, pendant ce voyage, on l’a vue changer de place avec autant d’inconstance que le vent.

— Cela est vraiment miraculeux, s’écria Pierre Martir, qui ne savait trop ce qu’il devait penser de cette nouvelle. N’y a-t-il pas la quelque méprise, señor Sancho ? Peut-être n’êtes-vous pas très-habitué à observer les astres ?

— Demandez-le à don Christophe, car nous avons raisonné