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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/451

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— Je voudrais, Señor, pouvoir répondre à la dernière de ces questions avec plus de certitude, et à la première avec plus de gaieté de cœur. Depuis mon retour, je n’ai vu doña Mercédès que trois fois, et, quoiqu’elle fût toute douceur et franchise, ma tante a répondu avec froideur et par des défaites à la demande que je lui faisais de ne plus différer mon bonheur. Il paraît qu’il faut consulter Son Altesse, et le brouhaha causé par le succès de votre voyage a tellement occupé la reine, qu’elle n’a pas eu le loisir de songer à des bagatelles d’une si faible importance que celles qui peuvent avoir pour but le bonheur d’un batteur d’estrade comme moi.

— Il est donc probable, Luis, que c’est pour cette affaire que nous avons été mandés ; autrement, pourquoi serions-nous appelés en même temps d’une manière si subite et si inusitée ?

Notre héros ne fut pas fâché de s’imaginer la même chose, et il entra dans les appartements de la reine d’un pas léger, le visage radieux, comme s’il arrivait pour faire la cour à sa maîtresse. L’amiral de l’Océan des Indes, comme on appelait alors Colomb, n’eut pas à attendre longtemps dans l’antichambre, et au bout de quelques minutes il fut admis avec son compagnon en présence de la reine.

Isabelle les reçut en audience tout à fait privée, car elle n’avait auprès d’elle que la marquise de Moya, Mercédès et Ozéma. Le premier regard fit reconnaître à Luis et à Colomb que tout n’allait pas bien, car la physionomie de chacune de ces femmes annonçait qu’elle cherchait à conserver un calme emprunté. Il est vrai que la reine avait l’air serein et plein de dignité ; mais ses joues étaient animées, son front pensif, et son œil mélancolique. Le chagrin et l’indignation se disputaient la place sur le visage expressif de doña Béatrix, et Luis vit avec inquiétude qu’elle détournait les yeux de lui, suivant sa coutume lorsqu’il avait sérieusement encouru son déplaisir. Les lèvres de Mercédès étaient pâles comme la mort, quoiqu’une petite marque, semblable à un vermillon brillant, fût comme appliquée sur chacune de ses joues ; elle avait les yeux baissés et l’air timide et humilié. Ozéma seule était dans sa situation naturelle ; cependant ses regards étaient vifs et inquiets. Un éclair de joie brilla dans ses yeux, et elle ne put retenir une légère exclamation de plaisir, quand elle vit entrer Luis, qu’elle n’avait vu qu’une seule fois depuis son arrivée de Barcelone, c’est-à-dire depuis près d’un mois.