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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/462

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de son éducation, cet instinct infaillible qui caractérise le sexe le plus faible lui faisait connaître aussi la nature du pouvoir qu’il exerce toujours sur le sexe le plus fort.

Vinrent ensuite les efforts tentés pour faire naître chez Ozéma quelques idées de religion, et les fâcheuses méprises causées par des subtilités mal expliquées et plus mal comprises. La jeune Indienne crut que les Espagnols adoraient la croix. En effet, ne la voyait-elle pas placée avec apparat dans toutes les cérémonies religieuses et publiques ? ne voyait-elle pas que l’on s’agenouillait devant elle, et qu’on semblait la prendre à témoin des engagements les plus solennels ? Les marins la regardaient avec respect, et l’amiral lui-même en avait fait ériger une lorsqu’il prit possession du territoire que Guacanagari lui avait cédé. En un mot, il semblait à l’imagination peu développée d’Ozéma qu’on se servait de la croix comme d’un gage de la fidélité avec laquelle on devait tenir toutes les promesses. Elle avait souvent admiré celle que portait notre héros ; et comme, suivant la coutume de son pays, l’échange de quelques dons était une cérémonie employée pour constater les mariages, elle s’imagina, quand don Luis lui donna le joyau qu’elle trouvait si précieux, qu’il la prenait pour femme, à l’instant où la mort allait les séparer pour toujours. Sa simplicité et son affection firent qu’elle ne porta pas plus loin ses raisonnements ni sa croyance relativement à ce signe.

Une heure se passa avant qu’Isabelle eût tiré d’Ozéma tous ces détails, joints à l’aveu de tous les sentiments qu’elle avait éprouvés, quoique la jeune Indienne ne cherchât à rien cacher et n’eût réellement rien à cacher. Il ne restait plus à la reine qu’à s’acquitter de la partie la plus pénible de la tâche dont elle s’était chargée, c’est-à-dire de détromper une jeune fille confiante, et de lui apprendre à recevoir avec courage la cruelle leçon qui s’ensuivait. La reine l’accomplit pourtant ; et croyant que le mieux était de dissiper sur-le-champ toute illusion à ce sujet, elle réussit à faire comprendre à Ozéma que le comte de Llera, longtemps avant de l’avoir vue, avait donné toute son affection à Mercédès, qui était sa fiancée. Il aurait été impossible de remplir cette pénible tâche avec plus de douceur et de délicatesse, mais ce fut un coup terrible pour la jeune Indienne, et Isabelle fut effrayée de ce qu’elle venait de faire. Elle ne s’était pas attendue à l’explosion de sensibilité dont un cœur sortant des mains de la